Menu
Libération
Disparition

Jean-Pierre Verheggen, mauvais genre

Article réservé aux abonnés
Fondateur de la revue «TXT», Christian Prigent rend hommage au poète et écrivain belge mort mercredi 8 novembre à 81 ans.
L'écrivain belge Jean-Pierre Verheggen au Salon du Livre en mars 2001 à Paris. (Raphaël Gaillarde)
par Christian Prigent, poète et écrivain
publié le 9 novembre 2023 à 22h03

Le Grand Cacaphone, Divan le terrible, Sodome et Grammaire… On voit le genre : bouffon, fou de calembours, potache.

Dans la littérature française, ce genre n’est ni courant, ni recommandé. On préfère des façons plus pensives, stylisées, noblement poétiques.

Il y a Rabelais, bien sûr. Quelques dissidents baroques au temps du classicisme. Le Rimbaud zutique. Jarry façon Ubu. Des surréalistes marrants (Péret, Desnos, Queneau)…

C’est à cette école (avec ses enseignements rebelles et ses chahuts verbaux) qu’appartient l’œuvre de Jean-Pierre Verheggen.

Elle a d’abord fait taire en elle le ronron poétique (lyrisme subjectif, métaphysiques livides, vers libre standard) : c’était en 1968, dans la mince mais radicale plaquette la Grande Mitraque.

Puis : bout de chemin avec l’avant-gardisme furibard des années 70. Voici Verheggen pilier de la revue TXT, jusqu’à sa disparition en 1993. Mais il joue peu de la trompette théorique : il invente une langue poétique inouïe. Ça donne Buck Danny/Bouc damné, Tableau rouge, le Degré Zorro de l’écriture.

La manière est dite «carnavalesque». Ses slogans : «langagement» (en littérature, un projet politique s’incarne dans l’invention irrégulière d’une langue) ; «violangue» (c’est la violence faite à la langue qui libère cette inventivité) ; «insonscient» (c’est du fond de l’inconscient que remontent ces accents sonores et ces portées rythmiques qui tentent de former une langue poétique nouvelle