Menu
Libération
Inde

Jeudi polar : «Le Soleil rouge de l’Assam», opium et esprits mauvais

Dans le quatrième volet des aventures du capitaine Wyndham dans une Inde rongée par les tensions de classe, Abir Mukherjee nous embarque dans un étrange ashram de l’Assam.
Un riche marchand anglais dans un palanquin, en Inde en 1922. (Ann Ronan Picture Library/Photo12. AFP)
publié le 16 mars 2023 à 8h25

Confessons-le : nous n’avions jamais lu Abir Mukherjee. Nous n’en sommes pas fière, ses trois premiers romans se sont retrouvés noyés sous la masse des polars à lire. Et bien, désormais, nous guetterons sa production avec impatience. Car le Soleil rouge de l’Assam (Liana Levi) est un grand, un très grand polar. A l’aide d’une intrigue très habilement ficelée, ce fils d’immigrés indiens grandi en Ecosse nous raconte l’Inde coloniale des années 1920, à un moment où l’emprise britannique sur le pays commence à être contestée, tout en nous transportant par flash-back dans les quartiers miséreux de Londres au début du siècle dernier. Et notamment dans ce district de Whitechapel où vivotaient les juifs fuyant la misère et les persécutions de leurs pays d’origine. «Des milliers d’immigrés entassés dans un espace prévu pour des centaines, souvent à cinq ou six dans une seule pièce et dormant à tour de rôle. Les Juifs avaient même une expression : «Dormez vite, nous avons besoin des oreillers.»» Abir Mukherjee aurait pu se perdre dans ce mélange des époques, des cultures et des milieux sociaux, les rebondissements sont au contraire tricotés avec une finesse et un romanesque qui nous embarquent jusqu’au bout. Le tout magnifiquement traduit par Fanchita Gonzalez Batlle qui s’est malheureusement éteinte le 21 février dernier à l’âge de 85 ans.

Le héros est un ancien officier de Scotland Yard, traumatisé par la première guerre mondiale qui lui a tout pris, ses amis tombés au front et sa femme morte de la grippe espagnole. Est-ce la raison de son addiction à l’opium ? Sans doute. Le capitaine Wyndham est en tout cas dans un sale état quand il intègre un ashram dans les collines de Cachar, «un endroit perdu au fin fond de la lointaine province de l’Assam, à trois jours de train et un million de miles de la sophistication, si l’on peut dire, de Calcutta», écrit Mukherjee. Wyndham a découvert l’Inde en 2019 quand il a débarqué à Calcutta pour servir la police impériale, il est désabusé et cabossé mais décidé à se libérer d’une addiction dont il sent confusément qu’elle le tue à petit feu. D’où ce séjour dans cet ashram réputé pour guérir la moindre dépendance à coups de tisanes infâmes et de méditations obscures. Mais ce qu’il va trouver dans ce lieu d’un autre âge, décrit avec un humour dévastateur, va le ramener plus de quinze ans en arrière et lui faire revivre un épisode dont il n’est pas fier : il a non seulement coûté la vie à la femme qu’il aimait mais il l’a aussi poussé à envoyer un innocent à l’échafaud.

Abonnez-vous à la newsletter Libé Polar en cliquant ici.

Au-delà de la beauté des paysages de l’Assam (et de cette scène incroyable où des étourneaux «possédés par des esprits mauvais» se suicident en se jetant au sol), de la description passionnante des rivalités de classe dans cette Inde coloniale qui commence à frémir, Abir Mukherjee raconte la violence de l’antisémitisme qui régnait au début du XXe siècle dans un Londres gangrené par la violence, où les plus faibles sont écrasés sans états d’âme.

«Je me rends compte de la difficulté de l’entreprise»

Le soleil rouge de l’Assam est le cinquième épisode d’une série policière qui couvrira l’histoire mouvementée de l’Inde, de 1919 à son indépendance en 1947, en compagnie du capitaine Wyndham et du sergent Banerjee, un Indien brillant éduqué à Cambridge (qui fait juste une apparition dans ce roman), deux héros qui vieilliront en temps réel. Initialement, Abir Mukherjee pensait couvrir cette période à raison d’un livre par an. «Maintenant que j’en ai écrit cinq, je me rends compte de la difficulté de l’entreprise, je vais peut-être situer mes intrigues tous les deux ans», a-t-il confié à son éditeur. Ce qui laisse le temps à celles et ceux qui, comme nous, seraient passés à côté des trois premiers de la série de rattraper leur retard en se ruant sur l’Attaque du Calcutta-Darjeeling, les Princes de Sambalpur, et Avec la permission de Gandhi, tous publiés en poche (Folio) et traduits par Fanchita Gonzalez Batlle.

Le Soleil rouge de l’Assam, Abir Mukherjee (traduit par Fanchita Gonzalez Batlle), Liana Levi, 416 pp, 21 euros