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Si vous aimez les romans noirs politiques, vous pouvez essayer le nouveau Médéline. Mais il faudra vous accrocher. L’histoire est formidable. Vous vous souvenez de l’homme qui a prononcé la phrase «je n’ai pas menti au président, les yeux dans les yeux» ? Jérôme Cahuzac, ministre délégué au Budget de François Hollande que Mediapart avait accusé de fraude fiscale en décembre 2012. Eh bien la Résistance des matériaux est le récit de sa lente descente aux enfers. Ce roman raconte, jour après jour, comment l’homme s’est enfoncé dans le mensonge, jurant devant l’Assemblée nationale qu’il était blanc comme neige avant de devoir démissionner en mars devant l’accumulation des preuves et de reconnaître enfin, en avril, l’existence d’un compte en Suisse.
Dans le roman, Jérôme Cahuzac s’appelle Serge Ruggieri et il est ministre de l’Intérieur, prêt à tout pour cacher la vérité et rester au pouvoir, y compris au pire puisqu’il s’agit d’un roman noir. Dans des chapitres courts, dont chacun suit un personnage, François Médéline écrit au présent la noirceur de ces quatre mois, dans un style sec, comme s’il rédigeait un télégramme ou presque. Un peu trop sec. Au bout d’un moment on rêve d’un adjectif, n’importe lequel, un mot qui donne un peu de chair. Et puis les personnages se croisent, certains se confondent, on est vite perdus. D’autant que ces chapitres sont entrelardés de «documents en encart» qui sont des transcriptions mot pour mot d’écoutes téléphoniques de la National Security Agency, par exemple d’une conversation entre François Hollande et Stéphane Le Foll, ou d’une autre entre Edwy Plenel et Fabrice Arfi, les deux journalistes de Mediapart lancés aux basques de Cahuzac-Ruggieri. Certains dialogues sont savoureux, notamment quand on entend François Hollande assurer que son ministre est victime d’une cabale. Ou quand on voit Serge Ruggieri tenter de mettre en place tous les pare-feux possibles. Car c’est une vraie guerre de communication qui s’engage dès les premiers jours, on voit comment le narratif se met en place et comment certains serrent les fesses par crainte d’être entraînés par le scandale. D’autres, au contraire, espèrent en profiter, par exemple Nicolas Sarkozy.
La semaine dernière
Un personnage se détache du lot, Djamila Garrand-Boushaki, députée suppléante de Serge Ruggieri, et épouse de son chef de cabinet. On aimerait la suivre davantage, elle est follement romanesque. Elle est arrivée très haut dans les sphères du pouvoir, oubliant qu’elle a une famille dans une cité, dont un frère délinquant, ce que certains esprits malveillants vont tâcher d’utiliser. On aurait bien aimé que Djamila soit le personnage principal, elle est ambitieuse mais elle n’est pas prête à tout… enfin, il faut le dire vite. «Djamila se tape un énarque. Elle l’a marié. L’énarque ne le sait pas mais elle va le quitter. Pourtant Djamila l’a aimé. Oui, elle l’a aimé. Surtout, elle n’aurait pas dû. Djamila croyait que les règles étaient différentes chez les riches et les blancs. Elle est subrepticement tombée dans le piège des sentiments. Elle sait désormais que les règles sont les mêmes partout : la réussite sourit spécialement aux voleurs, aux vicieux et aux fils de pute.»
Ce style télégraphique, Médéline ne l’a pas inventé, DOA et Dominique Manotti l’ont expérimenté avant lui. Il ne faut pas en abuser, au bout d’un moment c’est saoulant. Quant aux fictions politiques, nous avons été à bonne école ces deux dernières années avec des auteurs comme Jérôme Leroy ou Thomas Bronnec. La force de l’histoire et des personnages, c’est bien. Mais il faut un peu de liant, de respiration, de romanesque. Près de 500 pages en apnée, ce n’est pas simple.