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Littérature

Jeudi polar: un photographe, une femme et des flocons de neige

Avec «l’Inconnue de Vienne», Robert Goddard nous livre un récit alléchant et bien ficelé mais que l’on oublie très vite une fois la dernière page tournée.
Dans le roman, l'inconnue apparaît dans un parc enneigé de Vienne. (Aleksandar Nakic/Getty Images)
publié le 15 septembre 2022 à 8h37

Bon, c’est vrai, nous n’avons pas pu résister au plaisir de mettre en avant un autre Goddard cette semaine, même si Robert n’a rien à voir avec Jean-Luc. Outre le fait que son nom comporte deux «d», Robert Goddard est un auteur britannique de roman policier très carré, pas du tout révolutionnaire, pas du tout «vigie de son siècle et du nôtre» comme Libé l’écrivait mardi sur Jean-Luc Godard. Plutôt le genre bon élève qui publie des romans bien ficelés et efficaces. Nous avons ouvert son dernier livre, l’Inconnue de Vienne, appâtés par le titre. Depuis notre dernier séjour à Vienne, bercé par le souvenir des romans d’espionnage de John Le Carré et de Joseph Kanon ou des récits de Stefan Zweig, la capitale autrichienne exerce sur nous une intense fascination romanesque. Si de surcroît une inconnue s’y perd, alors le bonheur s’annonçait total. Mais l’expérience nous a montré qu’il ne faut jamais s’emballer sur un simple titre : Vienne n’occupe qu’une trentaine de pages sur un total de 438. Restait l’inconnue, et celle-ci reste inconnue suffisamment longtemps pour que l’on soit incapable de refermer le livre avant de savoir de quoi il retourne.

Rêve d’être surpris

On vous la fait courte. Ian Jarrett est un photographe passionné par son métier mais un peu sur la touche. «Faire des photos, c’était plus qu’un gagne-pain. Elles faisaient partie intégrante de ma vie. L’incidence de la lumière sur le réel ne cessait de nourrir mon imaginaire. Et la manière dont une seule image, un unique cliché, pouvait capturer l’essence même d’une époque et d’un lieu, d’une ville, d’une guerre ou d’une personne, était enracinée dans ma conscience. Un jour peut-être, l’espace d’une seconde, je déclencherais l’obturateur sur la photo parfaite.»

Il a fait le tour de sa vie conjugale et rêve d’être surpris. Envoyé par un magazine à Vienne, il se trouve un jour seul dans un parc enneigé de la ville, lorsqu’elle apparaît. L’inconnue. «Soudain, alors que je venais de stabiliser l’appareil, une silhouette déboucha dans l’image du côté sud de la cathédrale, vêtue d’un manteau rouge boutonné jusqu’au col pour se protéger du froid. Le genre de cadre qu’on rêve d’obtenir. J’appuyai sur le déclencheur et remerciai ma bonne étoile.» A ce stade, on en est à la page 13, c’est le climax. Il reste 425 pages et elles vont être consacrées à rechercher l’inconnue qui va s’évaporer après une nuit torride (enfin, on aime à l’imaginer car la scène est malheureusement expédiée en quelques lignes). On poursuit le livre avidement car on a vraiment envie de savoir le fin mot de l’histoire. Ce n’est franchement pas désagréable. Sauf qu’une fois le livre refermé, l’histoire s’évapore avec autant de légèreté que les flocons de neige sur la Stephansplatz de Vienne.

L’Inconnue de Vienne, Robert Goddard (traduit de l’anglais par Laurent Boscq), Sonatine, 448 pp., 23 euros.