Avec «Raconter la vie» pour sous-titre, ce recueil grand format de journaux intimes n’appelle pas pour rien Annie Ernaux – dont le «Quarto» (Gallimard, 2011) était intitulé Ecrire la vie – dans un entretien introductif. Ernaux, diariste chevronnée, commença à tenir un journal à l’adolescence et s’y applique toujours aujourd’hui. Elle dit ici n’envisager de publication que posthume (du reste, rares sont les vivants dans le présent volume). L’essentiel, pour elle, dans cette pratique secrète et régulière, consiste à «enregistrer la vie». La vie, quelles vies ? Suivent les quotidiens anodins et fragmentés de prosateurs d’exception : Simone de Beauvoir, Roland Barthes, Franz Kafka, Cesare Pavese, André Gide, George Sand… Au total, 87 voix et autant d’extraits de cahiers personnels rassemblés.
On peut lire le tout dans l’ordre comme des nouvelles ou baguenauder en se laissant happer par un nom, un exergue, une époque. C’est Sylvia Plath qui un soir de 1956 rencontre Ted Hughes («Il a dit mon nom, Sylvia, en me flanquant dans l’œil un regard sombre et caustique, et j’aimerais bien, juste une fois, mesurer ma force à la sienne»), Benoîte Groult éprise d’un amant américain («Situation ahurissante : être plus aimée à cinquante-neuf ans qu’à quarante !»), Eugène Delacroix s’exta