Kazimierz Sakowicz les entend dire qu’ils ont «hâte d’aller travailler», c’est-à-dire d’exécuter des juifs en rafale : «La rangée suivante assiste à l’exécution de la rangée précédente et les tueurs ne se préoccupent même pas de recouvrir les corps entre deux. Non ! Ils obligent les nouveaux “candidats” à prendre place sur les cadavres gisant déjà dans la fosse et ils les fusillent par couches successives. Parfois ils les abattent à coups de crosse, les enfants notamment.» Le registre tenu entre juillet 1941 et novembre 1943 par Sakowicz, journaliste polonais et catholique, est épouvantable à lire. Mais il constitue un document «sans équivalent», remarque la préfacière Alexandra Laignel-Lavastine, sur la Shoah par balles menée en Lituanie dans la «belle forêt» de Ponary, à une dizaine de kilomètres de Wilno (désormais Vilnius).
Conformément au pacte germano-soviétique, cette partie de la Lituanie est envahie par l’Armée rouge en 1939. En juin 1941, le pacte est rompu et les nazis envahissent Vilnius. Ironie tragique : des fosses énormes ont été creusées par l’Armée rouge dans la forêt de Ponary afin de stocker «des citernes de carburant destinées à approvisionner une base aérienne voisine. Ces cavités sont reliées entre elles par des tranchées où devaient être installés des pipelines. Les nazis, eux, y voient un dispositif idéal pour y massacrer des dizaines de milliers de personnes», précise la préface. A l’arrivée des Allemands, des