Sur la table blanche tout est en ordre. Il y a un bol rempli de café et trois tranches de brioche dont l’une termine sur le sol. La confiture s’étale, quelques gouttes brunes par-ci, par-là. Assis au bord d’une chaise bien trop grande pour lui, le garçon hurle, les bras tendus vers son petit-déjeuner par terre. Sa bouche ouverte et ses grands yeux semblent s’étirer sous le tracé de Gilles Rapaport. L’esthétique cartoonesque en dit long sur l’album. «Pile ou face ?» pour cette tartine, ce n’est pas la peine de demander, parfois les questions n’attendent pas de réponses.

Dans Ketchup ou mayo ? certains choix sont plus faciles à prendre que d’autres. A la question, «été ou hiver», il est évident qu’un enfant debout devant plusieurs cadeaux, posés au pied du sapin, choisira l’hiver. «C’est quoi la question ?» demande-t-il ironique. Page suivante, une fillette se pelotonne sous sa couette avec son chat et s’interroge sur sa préférence entre «samedi [et] dimanche ?» Le lit trop grand pour elle semble douillet à tel point qu’elle ne veut pas le quitter. La réponse s’impose : «Samedi, parce qu’après, il y a dimanche !»

Parfois, ce n’est pas une affaire de subjectivité mais de bon sens – ce qui a l’air de manquer à cette autre jeune fille partant à l’école en culotte, faute d’avoir tranché entre «pantalon ou legging». Son père n’y apporte pas (ou plus) d’importance, «tu n’as pas réussi à choisir ?» dit-il d’un air blasé. Il connaît la réponse. C’est là que le lecteur se rend compte de l’impuissance des parents. Ils ont beau choisir les «frites», les enfants continuent de grignoter leur paquet de chips en marchant, laissant derrière eux des miettes. Ou de jouer à la «PS5» quand il s’agit d’aller se balader à la «ville ou [à la] campagne». Plus loin, sur une double page bleue à la texture granuleuse, l’illustrateur fait taire les indécis avec un problème technique sur le vélo d’un cycliste. Comment peut-il pédaler avec des roues carrées ? Il le dessine en quelques traits épais et noirs pour apporter un peu de profondeur à ses planches sans perspective où les cheveux des personnages se confondent avec le fond uni.

Laurence Salaün, autrice, a l’habitude des drôles de questions. Elle débute en 2017 une série intitulée «C’est quoi être…» qu’elle décline pour les écoliers (C’est quoi être un bon élève ? publié au Seuil Jeunesse). Puis, elle poursuit en 2022 en s’intéressant à la vie secrète des peluches (les Doudous ont-ils des amoureux ?, les Doudous ont-ils peur du noir ? Où vont les doudous quand ils meurent ?…. tous édités au Seuil Jeunesse). Mais voilà elle n’a pas toujours la réponse à la question ou préfère l’omettre comme dans Ketchup ou mayo ? où une enfant allongée par terre, les pieds en l’air, est en train de peindre le visage d’une femme tout en écoutant de la musique. «Musique ou dessin ?» demande le narrateur. La réponse : choisir n’est pas nécessaire quand on peut faire les deux.