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Mercredi pages jeunes

«La Cabane» de Ludovic Lecomte : pas sortir

Pour lutter contre le repli sur soi, rien de mieux que l’entraide. Un roman pour les ados de Ludovic Lecomte.
(Miguel Sotomayor/Getty Images)
publié le 14 février 2024 à 16h17

Sur le mur de sa chambre, il y a un calendrier. Sur le 14 mai, une croix rouge. La Cabane commence le 14 mai. Dehors il fait beau, le ciel est bleu, c’est un beau jour de printemps comme les autres pour beaucoup de gens. Pas pour le narrateur de 16 ans : il n’a pas mis le pied dehors depuis six mois. Depuis exactement cent quatre-vingt-sept jours. Comme un détenu en cellule, il a décompté son enfermement. Dans deux heures, il doit ouvrir la porte de la maison, franchir le seuil, traverser le jardin, dépasser le portillon pour se retrouver dans la rue, partir vers la droite, atteindre la boulangerie, faire demi-tour et rentrer. Loin d’un jeu, c’est une incroyable épreuve pour lui. Il n’arrive même pas à ouvrir la porte pour laisser sortir le chat. D’ailleurs, rien que de penser ce qu’il va devoir surmonter, le souffle lui manque. Il ressent un poids sur la poitrine. «InspirerExpirerInspirerExpirerInspirerBloquerExpirerLongtemps». Dès que l’anxiété le gagne, il fait des exercices de respiration. Ludovic Lecomte nous glisse dans la peau d’un ado en grande difficulté. Replié sur lui-même, incapable d’affronter l’extérieur, physiquement pantelant. Les phrases courtes, prosodiques, décrivent sa détresse, son cœur qui s’accélère, le ventre barré de douleurs, la peur qui le saisit.

La première fois qu’il n’est plus sorti, c’était au mois de novembre, au retour des vacances scolaires. Ses parents ont bien cru qu’il voulait sécher le lycée. Le deuxième jour, c’était pareil. Une psy, Mme Germain est entrée dans la boucle, les consultations se font à distance. Même ses meilleurs amis, il ne parvient pas à les voir, phobie sociale. Quand sa mère les avait invités à déjeuner un dimanche, c’était plus fort que lui, il ne pouvait pas sortir de sa chambre pour les accueillir. Petit à petit, dans ce temps qui s’écoule avant la fameuse sortie, vrai compte à rebours, l’écrivain fait défiler dans les pensées de son jeune narrateur, les mois de crise et de paralysie, les efforts et l’impuissance des parents, la passion pour l’ukulélé, le désir qui revient progressivement. Et puis l’échec.

En mai 2020, on a parlé du «syndrome de la cabane» devant la peine éprouvée par certains à se déconfiner, préférant la sécurité intérieure à l’exposition au monde extérieur. Le personnage de Ludovic Lecomte s’est renseigné sur l’histoire de cette «maladie» : les premiers à avoir souffert du syndrome de la cabane étaient les pionniers de la ruée vers l’or. Ils restaient si longtemps seuls dans leurs toutes petites cabanes qu’à leur retour, ils étaient incapables de vivre en société. La cabane, c’est un lieu a priori rassurant, un refuge, mais qui éloigne de la réalité. Le roman montre que l’entraide peut tirer par la manche, faire sortir de la cabane. Et pourquoi par aussi Over the Rainbow du Magicien d’Oz.

Ludovic Lecomte, la Cabane, Ecole des Loisirs «M +», 112 pp., 12€. A partir de 13 ans.