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«C’est ainsi que tout s’achève. Ainsi que tout commence.» D’abord, il y a une petite erreur, un grain de sable dans la machine bien huilée. Il s’agit d’une histoire de voiture volée, de pièces détachées retrouvées dans une casse en périphérie de la ville. Juste après, un jeune flic zélé en fait trop et l’affaire remonte jusqu’à l’homme intouchable, le terrible Durruti, qui se trouve dans la boucle infernale. Pour le chef de la police, il faut tout arrêter au plus vite, sinon l’équilibre méticuleusement organisé entre flics, politiques et mafieux va s’écrouler. Rien qu’un détail qui grippe et c’est l’hystérie. La ville, c’est sans doute Buenos Aires qu’Eugenia Almeida connaît bien, dont elle scrute chaque quartier, chaque coin de rue, du centre-ville bourgeois aux bas-fonds périphériques. L’autrice de l’Autobus (Métailié, 2007) explore et surtout fait parler toute une population dans cette œuvre chorale qui va du pire au pire. Pour décrire les réactions en chaîne dans cette économie de la misère qui fonctionnait à peu près, Eugenia Almeida compose une vaste tragédie où les personnages sont nombreux, apportant des voix dissonantes pour dessiner le portrait d’une cité corrompue jusqu’à l’os. Et pourtant, le lecteur s’attache à ces personnages paumés, ce voyou un peu crétin qui rêve de sa bagnole comme un enfant attend le père Noël. L’autrice écoute sans donner d’explication les paroles de ce garçon un peu perdu devenu le pire des mafieux, la fille qui a tiré la mauvaise carte, l’amoureux maladroit, le pauvre type qui a trop rendu service et voudrait bien sortir de la spirale.
Donner à voir
Eugenia Almeida n’excuse rien, elle laisse s’exprimer ces personnages piégés par la vie et la ville. Le rythme est de plus en plus brutal puisqu’on avance vers le chaos et chacun se demande comment la romancière a pu donner autant de chair à ses antihéros sans jamais les décrire et leur laisser du temps pour s’expliquer. Sans doute parce qu’elle écrit de la poésie et sait économiser sur la psychologie pour juste donner à voir, nous laisser faire une partie du chemin. La Casse est une œuvre déroutante, d’un noir glaçant, à lire comme on boit cul sec une rasade de mezcal.