La vie dans les prisons, françaises ou autres, semble relever davantage du calvaire que de la rédemption ; mais qu’en est-il, sous l’empire ottoman, dans une grande prison d’Istanbul ? Guidé par cet extraordinaire conteur qu’est le romancier yougoslave Ivo Andrić (né en Bosnie, Serbe, prix Nobel de littérature 1961), le lecteur pénètre à une époque indéterminée, avec un moine de Bosnie, Fra Petar, qui séjourne deux mois par erreur (comme tant d’autres), dans un purgatoire fantastique et surpeuplé, une «toute une petite ville de prisonniers et de gardiens que les Levantins et les marins de toutes nationalités appellent Deposito, mais qui est plus connu sous le nom de Cour maudite». Dans ce lieu où échouent les hommes «pour cause de délit ou suspicion de délit», chaque jour la police de Constantinople déverse sans trier le contenu de ses gigantesques filets à mailles fines. On y trouve de tout, comme à la Samaritaine. Le principe qui guide la police est en effet qu’il «est plus facile de relâcher de la Cour maudite un innocent que de rechercher un coupable dans tous les recoins de la ville».
Mais qu’est-ce qu’un innocent ? Karagöz, le directeur inamovible de la prison, a son idée là-dessus. Un détenu vient-il clamer, parfois à raison, qu’il n’est coupable de rien ? Karagöz se frappe le front et dit : «