Chaque semaine, «Libération» passe en revue l’actualité du livre jeunesse.
Un consensus semble se dégager dans les travées du musée du Louvre : la Joconde se la raconte. Et Mona par ci, et Lisa par là, ras-le-bol qu’il n’y en ait que pour elle. Ne nous y trompons pas : l’intéressée est la première à déplorer son succès planétaire et aimerait bien cesser d’éclipser les autres œuvres. Pour se racheter, elle a décidé de consacrer tout un livre à celles et ceux avec qui elle cohabite. Parce qu’à force, ça met une sale ambiance.
En témoigne la Belle Ferronnière, qui n’a jamais eu les mêmes honneurs que sa consœur au sourire intrigant. Dans la Joconde et les autres, à l’instar des autres peintures présentées, elle s’exprime à la première personne. «Moi aussi, c’est Léonard [de Vinci] qui m’a peinte ; moi aussi, je suis mystérieuse : on ne sait quasiment rien de moi. Et pourtant… rien», se désole-t-elle. Cette femme au regard froid, presque dur, est perplexe. «Fais-moi plaisir : compare la page 6 [où se trouve la Joconde, ndlr] et la page 10 [où elle-même se trouve]. Est-ce que tu trouves qu’elle a quelque chose de plus que moi ? Si oui, quoi ? Promis, je ne le prendrai pas mal !» Et hop, voilà l’enfant embarqué à tourner les pages, observer, comparer, gamberger, puis trancher. Très habile façon d’impliquer le lecteur et d’aiguiser, sans avoir l’air d’y toucher, son esprit critique.
Premier miracle
L’opération se renouvelle délicieusement œuvre après œuvre, comme avec les Noces de Cana, de Véronèse. Les époux prennent à partie le lecteur :
– «Coucou, tu me vois ? Je suis là, à gauche, habillé en rouge et bleu ! Ma tendre épouse est à côté de moi, en bleu et blanc.
– Vu que c’est notre mariage, tu pensais qu’on serait à la place d’honneur ?»
Loupé, c’est Jésus la star. On découvre alors que c’est le jour de ces noces que le Christ a accompli son premier miracle, en changeant de l’eau en vin. La discussion se poursuit, sur un ton léger, jovial, mais rempli d’infos. L’enfant est invité à observer les couleurs, les motifs sur les vêtements, l’expression des visages… et à trouver tous les animaux qui se baladent sur l’image !
Séduisant
Il devra également identifier les légumes sur la tête que Giuseppe Arcimboldo a représentée dans l’Eté, repérer les détails de la Vénus de Milo qui semblent trop vrais pour être en pierre, compter les pattes des Taureaux androcéphales ailés, etc. Il apprendra que Judith Leyster dirigeait son propre atelier à une époque où les femmes peintres ne couraient pas les rues, que la stèle de Néfertiabet est restée emmurée durant des milliers d’années ou que Milon de Crotone a eu la main coincée dans un tronc d’arbre après avoir tenté de le fendre sans outil. Au gré des monologues et dialogues inventés par l’autrice jeunesse à succès Alice Harman, c’est l’histoire de l’art qui défile, séduisante même pour les plus réfractaires.
En guise de conclusion, les lecteurs se voient proposer d’utiles conseils pour regarder une œuvre d’art : lister tout ce qu’ils remarquent, s’imaginer discuter avec les personnages, faire une pause pour ne pas s’épuiser, analyser ce qu’ils ressentent… De quoi parfaire ce qui aurait pu s’appeler «le Petit Manuel pour ne pas avoir peur de l’art».