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Maggie et Nina. Ces charmants prénoms scandent l’intrigue de la Maison des mensonges. Elle est construite en une alternance de deux voix et points de vue, il pourrait y avoir valse, légère et harmonieuse. Il y a bras de fer, à mort. Avec cette particularité que l’une des protagonistes est entravée, empêchée : Maggie (la soixantaine) n’a pas pris l’air depuis deux ans, retenue dans sa chambre par une chaîne cadenassée à sa cheville. C’est Nina (la trentaine) qui a la clé. Nina décide de tout, par exemple si Maggie a le droit de se laver ou de descendre dîner. Dans ces cas-là, elle change de chaîne, en met une plus longue – Maggie lui a déjà fait le coup de la tentative d’évasion plusieurs fois. C’est pathétique, parce que Nina connaît Maggie par cœur et sait décoder le moindre projet d’entourloupe. La punition tombe aussi sec, la raclée est possible. Mais Maggie est coriace, garde la gnaque malgré l’insonorisation qui étouffe les cris, les vitres sans tain qui la rendent invisible du voisinage. De toute façon, Nina a dit à tout le monde que sa mère, gagnée par la démence, est partie vivre ailleurs. Effacée. Oups, on a oublié de dire le principal : Maggie et Nina sont mère et fille.
Séquestrer, pour terroriser, torturer voire pire si affinités, est un classique du polar, livre ou film. La victime la plus fréquente est une jeune femme kidnappée par un psychopathe, mais les enfants voire les familles ne sont pas épargnées – ça peut aussi arriver aux écrivains, cf. le cultissime Misery de Stephen King. Le Britannique John Marrs (un ex-journaliste), qu’on découvre à cette occasion, en fournit une variation mère-fille très efficace, à quelques détails invraisemblables près.
Interview
Très vite, le lecteur se demande qui aura la peau de l’autre. «La prochaine fois que nous serons ensemble, je veux que l’une de nous soit étendue dans un cercueil, vêtue de haillons n’épousant plus sa silhouette morte et rabougrie», envoie le prologue. Marrs module ensuite la toxicité avec un savoir-faire bien crispant. Les dîners (où la fille sert systématiquement à sa mère des plats qu’elle déteste) sont des parties d’échecs, parfois des Festen quand le sang-froid flanche, la maltraitance psychologique et physique est insupportable, les scènes de bagarre éprouvantes. Mais le récit mêle des sentiments plus mitigés et des flash-back qui créent le suspense. Que regrette sans cesse Maggie, de quoi est-elle exactement coupable ? Pourquoi dit-elle «une part de moi sait que je mérite d’être punie pour ce dont je l’ai privée» ? Pourquoi n’envisage-t-elle pas sa vie sans «[ma] petite fille» ? Et si elle était encore plus monstrueuse que Nina, qui semble avant tout inconsolable d’un père et d’un amour perdus, qui crève d’envie d’être mère ? Et si Maggie était enchaînée pour en avoir étouffé d’autres ? Ou faut-il croire au diagnostic de «figure dissociative» ?
Comme dans tout polar psychologique, les options et les rebondissements abondent, jusqu’au tournis. On n’achète pas le fait que la disparition de Maggie (et une autre qu’on ne dévoilera pas) ne soulève pas plus d’interrogations, voire une enquête. Nina se sort trop facilement de plusieurs sorties de route. Mais dans l’ensemble, John Marrs fore le lien familial et ses névroses collatérales avec un entrain délectable, qui culmine dans les scènes de baston, très réussies.