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Libération
Sur la pile

«La Parabole des aveugles» d’Aquilino Morelle, les socialistes aveuglés par l’Europe ?

Dans son essai, l’ex-conseiller de François Hollande dénonce la «mystification mitterrandienne» qui a, selon lui, coupé le PS des catégories populaires pour laisser l’extrême droite filer vers l’exercice du pouvoir.
Aquilino Morelle en mai 2012 à Paris. (Fred Dufour/AFP)
publié le 28 novembre 2023 à 10h25

On mesure, à la lecture de son dernier livre, combien Aquilino Morelle dut souffrir pendant toutes ces années passées au service de gouvernants socialistes. Conseiller du Premier ministre Jospin (1997-2002) puis du président Hollande (2012-2014), il affirme dans son essai, la Parabole des aveugles (Grasset), que le PS se fourvoie et trahit le peuple depuis quatre décennies. C’est-à-dire depuis que Mitterrand a imposé son «européisme» en lieu et place du socialisme.

L’auteur reprend à son compte la thèse communément admise selon laquelle la gauche aurait «abandonné le peuple» pour ne s’intéresser «qu’aux réformes dites de société et au devenir des migrants». La «tolérance» et la «diversité» devenant «son seul horizon», elle a ignoré «ceux qui ont la vie dure», se désole l’énarque Morelle, «enfant de Belleville» et «fils de prolétaires étrangers». Convertie à sa «nouvelle religion» – l’Europe – la gauche a «excommunié» ceux qu’elle jugeait «trop bêtes» pour comprendre les vertus de la mondialisation. Le peuple n’avait pas d’autre choix que de se tourner vers le Front national, le seul parti qui faisait l’effort de s’intéresser à son sort. Morelle n’a rien contre le populisme, ce «cheval sauvage qu’il faut savoir enfourcher, saisir par la crinière et dompter». Plus qu’une menace pour la démocratie, il veut y voir «un signe de vitalité». Si l’ancien socialiste rejette cependant Marine Le Pen, c’est qu’il ne croit pas en sa sincérité.

Un souverainiste qui veut donner à l’UE des ancêtres fascistes

A longueur de pages, il revient sur l’écrasante responsabilité de Mitterrand. C’est, au fond, le vrai sujet du livre. Ancien proche d’Arnaud Montebourg, il veut ouvrir les yeux de ses anciens camarades. Ils doivent enfin comprendre que cet homme qui fascine toujours tant d’entre eux fut le véritable fossoyeur de la gauche. Jospin avait timidement revendiqué «le droit d’inventaire». C’est un «devoir d’inventaire» qui s’imposerait aujourd’hui à la gauche. De Gaulle avait vu juste : loin d’être un homme d’Etat, Mitterrand était «le prince des politichiens». Sa proverbiale habileté tenait à sa maîtrise de «l’art de bien mentir», tout particulièrement sur sa jeunesse d’extrême droite. Sur ce point, l’ex-conseiller de François Hollande – viré en avril 2014 après des révélations de Mediapart sur de potentiels conflits d’intérêts avec des labos pharmaceutiques (l’enquête du PNF sera classée sans suite en 2015) et l’utilisation d’un cireur de chaussures à l’Elysée – est formel : loin d’avoir rompu avec son passé pétainiste, Mitterrand y serait resté fidèle en mettant œuvre son «projet fédéraliste». Car, nous apprend l’auteur, l’instauration d’un «ordre communautaire» avec «des institutions fédérales» faisait partie des réflexions encouragées par Vichy. Sans craindre de se caricaturer, le souverainiste Morelle donne donc à l’UE des ancêtres fascistes.

Seule date à retenir, selon lui, des deux septennats de Mitterrand : mars 1983. Entrée dans l’histoire comme «le tournant de la rigueur», ce fut surtout le moment où Mitterrand, d’accord avec Kohl, imposa à la tête de la Commission européenne «l’ardent fédéraliste» Jacques Delors. Du traité de Maastricht à celui de Lisbonne, la suite n’est qu’une succession de «coups de force fédéralistes». L’électorat populaire en tire les conséquences : en 2005, plus de 80% des ouvriers votent non au référendum sur le traité constitutionnel. Selon Morelle, cette «mystification mitterrandienne» a «mécaniquement conduit» à l’élection de Macron, ce président qui aura «permis à de nombreux bourgeois qui se croyaient de gauche de rejoindre sans déchirement leur véritable camp, celui de la droite».

Retour à «l’assimilation»

Le processus de décomposition qui a porté Macron à l’Elysée devrait logiquement déboucher sur la victoire de Marine Le Pen en 2027. Comment l’empêcher ? Morelle n’attend manifestement plus grand-chose d’une gauche, «imprégnée de gauchisme culturel». Trop occupée à soigner ses clientèles électorales et à défendre l’abaya, elle ne peut rien comprendre à l’identité nationale. Pour qu’il y ait une alternative à Le Pen 2027, il faudrait «un sursaut national», un accord transpartisan sur les questions migratoire, européenne et industrielle, «les trois volets du malaise français». S’agissant de l’immigration, il faut cesser de prétendre qu’elle serait «une chance» pour le pays, en finir aussi avec «le droit d’asile économique» et ne pas écouter les patrons qui agitent de prétendues «filières en tension» pour recruter à bas coût des étrangers. Fils de républicains espagnols, Morelle soutient qu’il faut en revenir à «l’assimilation», ce «magnifique projet» traîné dans la boue pas «la gauche décoloniale», celle-là même qui s’enthousiasme pour la «créolisation» chère à Jean-Luc Mélenchon. On croit pouvoir en conclure que «le sursaut national» se fera sans elle.