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Depuis le temps, Jérôme Leroy a bâti une véritable œuvre noire sur l’extrême droite. Il n’a pas son pareil pour trousser des intrigues d’un réalisme effrayant qui sont autant de façons de raconter le péril qui monte ou de conjurer le sort, du moins d’essayer. On se souvient avec émotion des Derniers jours des fauves (la Manufacture de livres, Prix Mystère de la critique 2023), qui mettait en scène une présidente de la République calquée sur Emmanuel Macron qui, en annonçant un jour qu’elle se retire de la politique, va ouvrir l’appétit de tous les grands fauves de l’échiquier politique et notamment celui d’une extrême droite en embuscade. Avec la Petite Fasciste, Jérôme Leroy prolonge la réflexion de façon éminemment romanesque et inaugure la Manuf, une nouvelle collection de la Manufacture des livres qui ambitionne de radiographier le monde d’aujourd’hui avec les codes traditionnels du noir. Que cette collection soit lancée avec un texte mettant en scène une «petite fasciste» en dit long sur le monde actuel.
Qui est-elle donc, celle qui a donné son titre à ce roman ou plutôt à cette novella (190 pages) ? Elle se nomme Francesca Crommelynck, elle a vingt ans, elle est longue et blonde, de quoi attirer tous les regards quand elle entre dans un bar. Elle a grandi dans les Flandres au sein d’une famille issue d’un mélange de collabos français et de fascistes italiens. Ses parents seraient plutôt extrême droite identitaire et elle n’imagine pas penser autrement. Elle est dure, Francesca, et cette dureté lui vient de deux fêlures. «Son frère Nils et Jugurtha Aït Ahmed, son premier amour, sont morts il y a quelques années à un court intervalle, et ce n’est pas pour rien dans la rage que met Francesca Crommelynck en toute chose : ses études, ses bains de mer en plein hiver et son militantisme dans le groupe d’ultradroite “Lions des Flandres”, régulièrement dissous avant la chute de notre République par le Ministre de l’Intérieur du Dingue, et régulièrement reconstitué sous des noms à peine différents.» Oui, la petite fasciste a passionnément aimé un garçon issu d’une famille kabyle et communiste de surcroît mais chacun ses contradictions. Et oui, la France est alors dirigée par un homme que Jérôme Leroy appelle «le Dingue» et par une Première ministre qui s’appelle Louise Michel.
Difficile de raconter de façon linéaire l’intrigue de ce formidable texte car il est construit à la manière d’un puzzle dont les pièces éparses finissent par s’emboîter dans un incroyable final que l’on ne peut soupçonner en découvrant les premières pages, et notamment une scène à la Tarantino, dégoulinante d’hémoglobine, quand un tueur à gage jouant de malchance se retrouve à éliminer un groupe de jeunes qui faisaient la fête pour la seule raison qu’il s’est trompé de maison. Malgré le drame, on rit beaucoup en lisant ce livre car Jérôme Leroy a cette façon de s’immiscer dans la lecture, il nous met en garde, il nous oriente sur tel ou tel personnage, il commente. «On commet l’erreur commune de voir dans le personnel politique ou médiatique qui s’accroche à ses fromages dans des indécences parfois largement octogénaires, une hypertrophie du moi, une avidité morbide, le sentiment d’être indispensable. Alors qu’on est tout simplement face à des hommes et des femmes qui ont peur de mourir s’ils s’arrêtent.» Des morts, il y en a beaucoup dans cette Petite Fasciste, mais aussi et surtout une superbe pulsion de vie.