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C’est un roman magnifique que l’on referme la gorge nouée, et pourtant nous ne sommes guère adepte du «rural noir» en vogue ces dernières années. Certes, l’intrigue se situe dans un village du centre de la France vivant essentiellement de l’usine d’abattage de poulets, cerné de champs et bordé de forêts propices aux fantasmes les plus inquiétants. Mais la Proie et la Meute est d’abord une incroyable fresque humaine où s’entremêlent tous les ingrédients du noir : la jalousie, l’envie, l’appât du gain, l’amour et surtout la bêtise.
Garde-chasse sans foi ni loi
Le héros est un géant blond nommé Romain que tout le monde appelle Lapin, référence au bec-de-lièvre qui lui bouffe une partie du visage et qui, dès l’enfance, en a fait un être à part, objet des railleries de ses camarades, un marginal, un taiseux qui ne se sent bien qu’au sommet d’un arbre, loin des humains, ou les pieds dans la rivière en quête de poissons. S’il tue, c’est pour se nourrir, il ne fait jamais rien gratuitement. Son plaisir, c’est d’être seul, au contact de la nature ou de regarder vivre Solène, la maire du village, la seule à avoir pris sa défense quand ils étaient enfants et que la meute se liguait contre lui. Solène, pour lui, est plus belle encore que le soleil, plus douce que le pelage d’un écureuil, il donnerait sa vie pour elle.
Alors, quand elle disparaît une nuit effrayante «pleine de bruits, de crissements d’animaux fantasmagoriques qui s’abreuvent au clair de lune comme à une source», Romain devient fou. On a retrouvé la voiture de la maire sur une route à l’orée d’une forêt, défoncée par un animal qui est allé mourir plus loin. Solène semble vivante puisqu’on n’en trouve pas la trace, mais comment a-t-elle pu disparaître alors qu’elle est blessée ? Ce que Romain ne sait pas, c’est qu’un garde-chasse sans foi ni loi a fait affaire avec une cheffe d’entreprise sans scrupule et un paysan véreux pour enterrer des produits toxiques dans un champ. «Il ne compte pas vivre cent ans de plus, et puis les sols de Tourboin ne sont qu’un mélange d’engrais et de pesticides, une boue toxique où se dressent péniblement des épis de maïs transgéniques d’un vert Tchernobyl. Casela connaît toutes les combines des paysans du coin, installer des méthaniseurs défectueux pour toucher des subventions, rejeter des tonnes de lisier dans les rivières, stocker des silos entiers de nitrate d’ammonium, ce pesticide explosif qui a fait sauter le port de Beyrouth, puis le disperser au gré du vent dans les champs, parfumant au passage cours d’école, rues et jardin.»
Il y a une justice
La maire serait-elle tombée au mauvais endroit au mauvais moment ? Dans ce roman, les dégénérés sont partout, chez les paysans mais aussi chez ceux de la ville qui se croient plus malins que les autres. L’héritier de la cheffe d’entreprise en tient sacrément une couche, mais cela ne va pas lui réussir, il y a quand même une justice. «Le bourg agonise dans un reste de sommeil, comme pris dans la vase. Les chaumières hagardes s’allument timidement, lucioles hésitantes ponctuant les rues désertes. Au loin, derrière la rivière et l’église, derrière le monde, l’usine à poulets entame son œuvre, immuable. L’abattage démarre, donnant le la de cette nouvelle journée. Les futurs cadavres de volatiles s’ébrouent dans la mort. Une charlotte sur la tête, ceinte de blouses vaguement propres, l’équipe du matin déambule sous les néons, armée de zombis abrutie de sommeil.» Voilà un roman pour les nostalgiques des vacances à la campagne, il balaiera vite tous vos regrets et vous fera retrouver la ville avec délectation.