Il n’y a rien d’exceptionnel dans l’histoire d’amour de Jeanne et de Jacques, deux Vendéens de classe moyenne. Et c’est justement là que la magie opère. François Bégaudeau décrit un amour simple construit sur l’habitude. Pas de «je t’aime», ni de trahison morale mais deux individus apprenant à s’aimer au cours d’une vie simple comme l’illustre cyniquement le narrateur : «On se fait à tout, c’est pas sorti de la tête d’Einstein mais c’est véridique.» Les Moreau se rencontrent dans les années 70 et bâtissent leur vie sur le schéma d’une maison, pierre par pierre. Le temps de l’admiration voire de l’idolâtrie semble archaïque pour être remplacé par l’amour qui se supporte, s’endure sur des décennies. François Bégaudeau livre un amour, le véritable d’une vie, qui souvent n’a pas été brûlé par la passion.
Pas toujours simple. Jeanne ne supporte plus son mari qui met des cornichons dans tous ses plats et qui ronfle depuis dix-huit ans. Lui est harassé par les manies de sa femme : elle ne fume que la moitié de sa cigarette et refuse d’augmenter le son de la télévision. Mais leur amour se suffit à lui-même. L’amour passionnel que le temps désintègre est remplacé par l’amour platonique renforcé par le temps. Car il n’est pas cette entité extérieure nous tombant dessus un beau jour et nous sortant de notre mièvre existence pour nous exhorter à donner du sens à la vie : il est une construction. Il est sarcastique lorsqu’il s’agit de décrire l’interdépendance caractérisant les couples qui durent : «Qu’est-ce qu’il emporterait sur une île déserte ? Sa femme pour la lessive. Qu’est-ce qu’elle n’oubliera jamais d’emmener en vacances ? Son mari, pour le noyer.» L’idée répandue dans l’imaginaire collectif selon laquelle l’amour est une aventure transcendant l’homme pour le hisser au-delà de sa condition se trouve ébranlée par un amour réaliste, à notre hauteur. «Si tu n’es pas vraiment l’amour, tu lui ressembles» chantent Johnny Hallyday et Sylvie Vartan. Ces paroles bercent le mariage de Jeanne et Jacques et cristallisent le sentiment que le narrateur tente de saisir. Un amour qui se veut accessible.
A l’instar de cet amour, l’écriture épurée et sobre de François Bégaudeau met en exergue la nécessité d’une pudeur dans les sentiments et humilité face à nos variations d’états d’âme – ces propos trouvent sens dans ceux de saint Paul prononcés au mariage de leur fils : «L’amour prend patience, l’amour rend service, l’amour ne jalouse pas. Il ne s’emporte pas. Il n’entretient pas de rancune […] l’amour ne passera jamais.» Percutant par sa lucidité et son réalisme, l’écrivain éloigne toutes considérations idéologiques personnelles dans ce dix-huitième roman.