Retrouvez sur cette page toute l’actualité du polar et les livres qui ont tapé dans l’œil de Libé. Et abonnez-vous à la newsletter Libé Polar en cliquant ici.
Disons-le tout net : si vous avez le moral en berne, ce livre n’est pas pour vous. Il est empreint d’une telle mélancolie que l’on finit peu à peu par se sentir glisser dans une gangue de noirceur sans véritable fond. Mais il est très beau, magnifiquement écrit, d’une immense poésie.
Nous sommes en Grèce, à la frontière avec l’Albanie. Mais ce n’est pas la Grèce idyllique des vacances d’été avec eau turquoise et salade tomates-feta, non. Loin de là, c’est une Grèce froide, grise, presque angoissante, celle des villages reculés où la misère côtoie la corruption et le virilisme. A 53 ans, Ilias est retourné vivre chez sa mère. Il a perdu son emploi, quitté sa femme qui l’a trompé avec son ancien associé, laissé ses enfants Maria et Angueliki et fui Athènes pour regagner son village natal, Delvinaki, en Epire, avec deux valises pour seuls biens : l’une remplie de vêtements, l’autre de livres.
Pas facile, à cet âge-là et après une telle succession d’échecs, de vivre à nouveau avec sa mère. «La mine triste et coite de sa mère lui personnifiait le naufrage de sa propre vie. Il la haïssait car elle était son unique refuge. Il la haïssait pour ce qu’elle pensait et ne disait pas car elle avait peur de lui, car elle avait peur de sa colère, et qu’elle ne voulait pas lui faire de la peine. Il la haïssait de le regarder avec tant de souci.» En réalité, Ilias adore sa mère. «C’était lui-même qu’il haïssait quand il voyait son reflet dans son regard plein de compassion.» D’autant que cette fin d’automne est particulièrement rigoureuse, le vent du nord souffle un air glacé et la neige alourdit la cime des arbres.
Bouton de manteau
«Décembre s’était écoulé avec l’étrange rapidité du temps qui s’écoule quand il est vide», écrit Michalis Makropoulos. Ilias a bien pensé faire un saut à Athènes pour passer un moment avec ses filles à l’occasion de Noël, mais l’idée de les voir à la va-vite dans un bar impersonnel l’a freiné. Il leur enverra un cadeau. Ilias sympathise avec le commandant de police Kotsomendis, le seul qui tente de lui adoucir la vie à coups de tournées de tsipouro, cette eau-de-vie de marc qui se boit comme du petit-lait, et tente d’éviter de croiser le chemin de Yannogassis, un magouilleur et trafiquant de première dont tout le monde lui dit de se méfier. De nombreux migrants passent par là, il n’est peut-être pas étranger à ce va-et-vient.
Jusqu’au jour où, à l’extérieur du village, le cadavre d’une inconnue est découvert, abandonné dans la neige, mutilé à l’aide d’un outil tranchant. Ilias connaît bien l’endroit, il a aperçu deux hommes non loin peu avant le meurtre, et traînant sur les lieux du crime, il a machinalement ramassé le bouton d’un manteau ou d’une veste qui était tombé là. Il est intimement convaincu que Yannogassis n’est pas pour rien dans ce drame.
Après Eau noire (2023), l’Arbre de Judas est le deuxième livre de Michalis Makropoulos publié en français par Agullo. Ecrivain mais aussi traducteur littéraire, l’auteur se partage entre l’île de Lefkada et son village de Delvinaki. Ses descriptions, magnifiques, sont donc puisées à la source. On espère vivement avoir l’occasion de le lire à nouveau.