Son Desna Dva avait suivi Guéna partout. Ce vélo de rêve fabriqué en Union soviétique, barbouillé d’huile, avec ses petites roues et son cadre pliable, customisé avec une autre selle, avait porté Mila sur son porte-bagages dans leur jeunesse. Guéna l’avait ensuite emporté dans sa fuite d’Erevan, en Arménie, jusqu’à Tbilissi, en Géorgie, puis, de retour chez lui, il était reparti avec en exil à Bakou, en Azerbaïdjan, puis à Tbilissi. Après trente ans de mariage avec Mila, il pense à ce vélo, volé dans la cage d’escalier de son immeuble de seize étages, avec son bunker au sous-sol qui sert de vide-ordures collectif et qui dégage une puanteur comparable à la décomposition de l’URSS. «Guéna avait compris qu’en perdant son unique vélo, il avait perdu tout ce qui le reliait à son passé, plutôt clément et dénué de souci.»
On est le matin du 9 avril 2017. Un jour symbolique en Géorgie : date de la proclamation de l’indépendance en 1991, mais aussi de la répression sanglante d’une manifestation pacifique par Moscou en 1989. Ce n’est pas de sa faute à Mila si elle est née à cette date-là, il semble que personne ne veuille s’en souvenir. Pour son mari, affalé sur le canapé, brisé par le passé, le 9 avril ravive des cicatrices. Le Bunker de Tbilissi se déroule sur 24 heures, prenant pour