C’est à n’y rien comprendre. Les vacances d’été ont commencé et pourtant une classe se tient en extérieur à Chalon-sur-Saône (Bourgogne-Franche-Comté). Pas de sonnerie mais une maîtresse le temps de l’activité «la machine à écrire», une des seize proposées par le Livrodrome, parc d’attractions littéraires itinérant, annoncé ensuite à Lyon le 18 juillet et à Marseille le 21 juillet. Delphine Pessin, autrice, accueille ce mardi 11 juillet une dizaine d’enfants du centre de loisirs de l’école Lucie-Aubrac (Givry) et décrypte avec eux les mécanismes d’écriture de son roman, Extra (Didier Jeunesse).
Les devoirs ? Décrire un extraterrestre. Clémence, 11 ans, une gueule d’ange survoltée, l’invente avec des néologismes. Le sien mange des «vieilles Twingo» et a une peau «transparente et fucureuse». Comprenez «gélatineuse comme un blobfish». «Ce matin, je n’étais pas réveillée. Les mots se sont bousculés dans ma tête avant de se poser sur le papier» se marre-t-elle. «Ils façonnent leur univers et déconstruisent leurs lectures scolaires pour créer les leurs», dit Delphine Pessin. Clémence se soucie peu des conventions comme son héroïne préférée, Mortelle Adèle, en haut de l’affiche de cette neuvième édition de Partir en Livre, manifestation nationale du livre jeunesse portée par le Centre national du livre (CNL) jusqu’au 23 juillet.
L’illustratrice Diane Le Feyer semble s’inspirer de cette révolte, celle qu’on rencontre à l’adolescence et dans les livres. Mortelle Adèle, fillette rousse vêtue d’une jupe violette et d’un pull vert en col V se tient debout sur un livre - telle une pirate. On ne sait vers quelle direction elle pointe son doigt, sans doute celle des contrées traversées par ses amies en pleine lecture. Et le temps d’un festival, les livres jeunesse sortent de leurs étagères et vont là où on ne les attend pas. Sous une tente verte plantée aux pieds d’un chêne du square Chabas, par exemple.
Prescription : lire un roman
Devant on y lit : «Cabinet d’ordonnance littéraire». Il n’y a ni stéthoscope ni blouse blanche à l’entrée mais deux chaises de camping, l’une pour le médecin, l’autre pour le patient. La romancière Annelise Heurtier fait face à Alexandre, 14 ans, tout de gris vêtu. La prescription tombe : un roman de Jean-Claude Mourlevat et un de Clémentine Beauvais à lire cet été. «Il n’y a pas d’effets secondaires excepté rire et apprendre» scande-t-elle. Pas très emballé, Alexandre. Derrière ses réponses monosyllabiques, on apprend qu’il aime les mangas. Or l’enjeu du Livrodrome, outre faire lire les 11-18 ans, «est d’emmener les jeunes vers un terrain qui n’est pas le leur» souligne Gauthier Morax, concepteur et directeur de ce parc littéraire. Là est également le souhait de Pascal Perrault, directeur général du CNL : «Il faut aller au-devant des jeunes pour créer chez eux de nouvelles passions et leur montrer la diversité de l’offre culturelle.» «Leur ouvrir une fenêtre» résume Gilles Platret, maire LR de Chalon-sur-Saône. Mais le défi n’est pas simple : un jeune sur cinq ne lit pas selon la dernière étude sur la lecture du CNL.
Bien que la lecture soit une activité solitaire, lors de cette quatrième édition du Livrodrome, la solitude est rare. Les 500 visiteurs la transforment en pratique sportive, conviviale ou ludique. Et cela même sous la chaleur étouffante du début d’après-midi. Le rendez-vous est donné à l’ombre pour les parents, dans des chaises longues, un livre entre les mains avec dans les oreilles une bande-son créée pour l’occasion.
Les enfants, eux, se jettent sous le cagnard pour participer en équipe aux Olympiades - spécificité de cette sixième ville étape - ou au Grand quiz sur une lecture commune. «Sans le jeu, je n’aurai jamais lu cette œuvre. Si je veux devenir écrivain, je dois m’en souvenir», assène Agathe, 8 ans. Mais ce qui motive Clémence n’est pas le sujet de cette bande dessinée historique ayant pour protagoniste la résistante Léocadie mais le cadeau : «un chèque lire» d’une valeur de 12 euros - le CNL en a distribué 500 lors de cette manifestation. «Je vais pouvoir acheter la suite d’Harry Potter, c’est mon truc la magie en ce moment.» Un tel enthousiasme signe sans doute la réussite de ce pari. Gilles Platret met en avant l’importance de ce parc d’attractions, quelques jours après la vandalisation d’une bibliothèque municipale, «accueillir pour la première fois le Livrodrome est un acte de résistance culturelle».