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Le «Manifeste» du surréalisme, de l’âge d’or au hors d’âges

Programme poétique et politique, le texte fondateur du surréalisme écrit par André Breton reparaît en Pléiade à l’occasion de son centenaire.
Portrait non daté d'André Breton (1896-1966). (AFP)
publié le 3 septembre 2024 à 7h23

Cela fait donc un siècle. Le Manifeste du surréalisme d’André Breton a paru en octobre 1924 aux Editions du Sagittaire chez Simon Kra, séparé du recueil Poisson soluble à qui il devait servir de préface. Il ouvre «la phase raisonnante du surréalisme», dira-t-il plus tard de ce qui échappe paradoxalement à «tout contrôle de la raison». Pour Breton, âgé 28 ans, il s’agit de décrire et d’affirmer ce que lui et les jeunes poètes qui l’entourent (qui ont fait acte de «surréalisme absolu») entendent par surréalisme : «Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée.» Il s’agit aussi, pour ces esprits avides d’avant-garde, de poser un jalon, un point zéro qui inaugure une ère où «l’imagination est peut-être sur le point de reprendre ses droits». C’est un programme poétique et politique, qu’André Breton va peaufiner, au gré des circonstances, enfilant les Manifestes et d’autres textes qui s’y rattachent, constituant au final l’œuvre d’une vie. En 1962 paraîtra l’édition la plus complète des Manifestes chez Pauvert. André Breton, qui disparaît en 1966, en a fixé le sommaire, le tirage spécial illustré de la Pléiade qui sort ce mois-ci s’y conforme, quelques autres textes éclairants en plus.

«Du surréalisme, si l’on veut, on dira qu’il a cent ans. /Il en a mille, il en a vingt – aussi bien», écrit Philippe Forest dans sa remarquable préface. Il pourrait bien être beaucoup plus vieux, car il se réclame d’une histoire ancienne. Dans le premier des Manifestes, les écrivains qui s’en revendiquent (en tête Breton, Aragon, Crevel, Desnos, Eluard, Péret et Soupault) se reconnaissent dans une filiation que désigne Breton : «A commencer par Dante et, dans ses meilleurs jours, Shakespeare.» La liste se poursuit avec Swift, Sade, Chateaubriand ou Hugo («est surréaliste quand il n’est pas bête»), Poe, Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, Jarry, Vaché («surréaliste en moi»), Roussel («surréaliste dans l’anecdote»)… Ils ne sont pas toujours surréalistes, dit Breton, mais l’ont tous été à un moment. Dans le Second Manifeste (1930), la généalogie des précurseurs a un peu changé, des noms ont été écartés, d’autres remontent désormais à la Renaissance et au Moyen Age. Les références se modifient encore dans les Prolégomènes à un troisième manifeste du surréalisme ou non (1946). «Plus les années passent, plus le surréalisme se tourne ainsi vers un hier immémorial, dit Philippe Forest, plus reculé encore que celui auquel il se rattachait d’abord.» Hors d’âge, le surréalisme a tout aussi bien pour toujours 20 ans, par son essence toujours «présentielle». «Je ne crois pas au prochain établissement d’un poncif surréaliste», écrivait André Breton en 1924. A le lire aujourd’hui, on y trouve la même ivre jeunesse.

André Breton, Manifestes du surréalisme. Préface de Philippe Forest. La Pléiade, 1 184 pp., 65€ jusqu’au 31 décembre, 72€ ensuite. En librairie le 19 septembre.
Paraît également le fac-similé du manuscrit du Manifeste du surréalisme. Edition établie et présentée par Thierry Dufrêne, introduction de Georges Sebbag. Jean-Michel Place éditeur, 43€. Reparaît la biographie d’Henri Béhar, André Breton : le grand indésirable (Classiques Garnier).
A Paris, la galerie Gallimard propose une exposition du 4 septembre au 12 octobre, «Des surréalistes à la NRF. Des livres, des rêves et des querelles (1919-1928)».