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«Vous souvenez-vous à quoi ressemblait la personne qui a ouvert la porte ? demande le policier. Pouvez-vous décrire son visage ? Etait-ce un homme, une femme ? Vous rappelez-vous son âge ? Je secoue lentement la tête, croise ses yeux bleus, brillants, et souffle entre mes lèvres muettes : non. […] J’ai vu ma grand-mère se faire massacrer. J’ai vu l’assassin. Je ne l’ai pas reconnu. Et je serai incapable de le reconnaître.» Car Eleanore souffre de prosopagnosie, un trouble rare d’ordre neurologique qui rend incapable d’identifier les visages, y compris son propre reflet. Dans son monde flou, elle doit s’accrocher à de minuscules détails : une coupe de cheveux, une odeur, une silhouette…
Quelques semaines plus tard, la jeune femme apprend que sa grand-mère lui a légué un manoir isolé dont elle n’avait jamais entendu parler. Avec son compagnon, sa tante Veronika et un avocat chargé de faire l’inventaire des biens, elle se rend au domaine «du Haut Soleil», une imposante bâtisse perdue dans la forêt, qui porte bien mal son nom dans le blizzard glacé de l’hiver suédois.
Huis clos
Ces premiers chapitres achevés, on s’attendait à un scénario à la Witness, un témoin fragile allait être la cible d’un tueur sans pitié cherchant par tous les moyens à le supprimer pour l’empêcher de parler. Camilla Sten, fille de la superstar suédoise du polar Viveca Sten (dont on a chroniqué le dernier thriller début décembre) nous emmène contre toute attente avec ce premier roman dans un huis clos psychologique, subtil et oppressant.
Quels secrets cache cette immense maison familiale désertée il y a quarante ans ? Pourquoi sa tante n’a-t-elle jamais évoqué ce lieu où elle a pourtant passé sa jeunesse ? Que cachent les non-dits de cette famille meurtrie (la mère d’Eleanore est morte d’un cancer, son père l’a abandonnée, son grand-père se serait suicidé, sa grand-mère était bipolaire…) Et où diantre est l’intendant qui devait les recevoir ? Découvert sous un meuble, le journal tenu des décennies plus tôt par une jeune gouvernante polonaise apporte plus de questions que de réponses…
Ambiance étouffante, personnages troubles, héroïne luttant contre ses peurs et les ombres sans visages qui l’entourent…, le Manoir de glaces, à l’image des maisons maudites de Lovecraft ou de Poe, devient vite le personnage principal d’un roman flirtant avec le fantastique. «L’idée que le domaine n’en a pas fini avec nous me colle à la peau. Dans mon esprit, il est doté d’une conscience, comme une créature assoupie. C’est bien plus qu’une maison. Il m’attend depuis plus de quarante ans. Il attend notre retour pour nous révéler ses secrets. J’ai l’impression que la maison est vivante.»
Alors que la tempête rend tout déplacement impossible, que les portables ne passent plus et que l’électricité fait des siennes, la peur et la paranoïa guettent les protagonistes… Le tueur est-il dans les parages ? Parmi eux ? Car dans un éclair d’insomnie angoissée, Eleanore ne peut s’empêcher de le comprendre : «L‘individu qui a tué ma grand-mère est resté silencieux. Depuis l’instant où il m’a aperçue jusqu’au moment où il a disparu de mon champ de vision. Il n’a pas prononcé un seul mot. Comme s’il savait que je n’allais pas pouvoir l’identifier, uniquement grâce à son visage, comme s’il savait que si j’entendais sa voix… je pourrais le reconnaître.» Les nuits seront longues dans le Manoir des glaces.