Un matin, à la sortie de la douche, la mort était là. Comme une «indicible fatigue», un souffle court, une douleur «sourde et métallique» qui encage et terrasse. Sans prévenir, un début de crise cardiaque. Juste avant d’aller au travail. C’était le 2 novembre 2010. Mehmed a alors 50 ans et un trop-plein de fatigue, d’exil et de cigarettes. Nu sous son peignoir, il se voit partir. Réduit à un corps allongé, emmené par des secouristes, dans un plaid aux «motifs floraux à la Paul Gauguin». Il n’en faut pas plus pour que s’évanouissent les dernières illusions sur sa jeunesse. Il se désole de mourir en automne, «en même temps que tout le reste. Que les feuilles, c’est indécent».
Mais finalement la mort recule. Reste la redoutable inquiétude des vivants : que la mémoire capitule. La peur du grand effacement. A l’issue d’un contrôle de routine, un cardiologue alerte Mehmed sur les effets secondaires des médicaments pour le cœur : l’oubli. «C’était une découverte énorme pour moi, raconte Semezdin Mehmedinović à Libération dans un anglais mâtiné de langueur balkanique. Oublier peut aider en cas de traumatisme. Mais du point de vue de l’écrivain, ce qui compte, c’est la vérité, la mémoire est essentielle. Sinon, c’est le vide, une vie déprimante.»
Dobro, mot passe-partout dans les Balkans
L’auteur bosnien en a un funeste aperçu dans sa chambre d’hôpital à Washing