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«Le Passeur», plongée dans les enfers

Dans son premier polar, l’ex-flic aujourd’hui scénariste Franck Mancuso met en scène une enquête sur deux morts suspectes traversée par des héros de la mythologie grecque.
(kolderal/Getty Images)
par Didier Arnaud
publié le 15 décembre 2024 à 17h35

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C’est un flic à la destinée brisée. Gabriel Spaak, commandant à la brigade criminelle, ne se remet pas de la disparition de sa femme et de son fils, dans un accident de la route qui ne cesse de tourner en boucle dans son esprit. «Une voiture rouge venant de sa droite fait une embardée pour l’éviter, le percute et va s’encastrer dans le camion qui venait en face. Son regard reste figé quelques secondes dans son rétroviseur.» Le policier est traversé par les idées noires, veut en finir avec l’existence. Heureusement, il repousse à plus tard ce funeste dessein.

Franck Mancuso a travaillé pendant vingt ans à la police judiciaire, brigade des stupéfiants, anti-terrorisme, il a connu des collègues dépressifs ou qui se sont «flingués». Il s’est aussi chargé des «braqueurs de fourgon au lance-roquettes». «Cela fait une vie bien remplie» explique-t-il à Libération. Il a ensuite démissionné de la police pour écrire des scénarios, et réaliser des films. Il a coécrit notamment 36 quai des Orfèvres (nominé aux césar du meilleur scénario original) et a œuvré à Contre-enquête.

Descente aux enfers

Son Passeur met en scène une enquête sur deux morts suspectes entre lesquelles n’existe pourtant aucun lien avéré. Des autopsies qui ne donnent rien, des explications rationnelles qui manquent. Alors, pour élever le débat, l’auteur fait intervenir des personnages de la mythologie grecque, dont ce charron, conducteur des âmes, transformé pour l’occasion en chauffeur de taxi. «Je me suis rendu compte que lorsqu’on regardait le centre de Paris, de haut, l’île de la Cité, l’ancien palais de justice et les Champs-Elysées, on obtenait un exact “copié collé” de la typologie des enfers grecs, raconte Franck Mancuso. J’ai mis en scène des dieux à qui j’ai trouvé un nouveau job, en adéquation avec leur charge divine.»

Cette descente aux enfers n’empêche pas l’auteur de glisser quelques éléments à charge sur les conditions de l’exercice de sa profession, où «les fonctionnaires ne maîtrisent plus grand-chose des décisions qu’ils prennent», où les magistrats «ont de plus en plus tendance à considérer que le flic est auxiliaire de justice», où «le formalisme procédural prend trop souvent le pas». Quant aux locaux dans lesquels ils travaillent, ils dépérissent. «Les violentes bourrasques qui martelaient les carreaux des fenêtres de l’étage de la police scientifique et technique avaient obligé les fonctionnaires du service à colmater les issues fragilisées par les éléments en furie avec ce qui leur tombait sous la main : gaffeurs, cartons, linges… On se demandait même si la toiture qui avait fait largement plus que son temps n’allait pas leur tomber sur la tête», écrit-il.

«Je mets toujours un peu de moi dans mes livres, nous explique Franck Mancuso. C’est un exercice périlleux de concilier vraisemblance procédurale et chute acceptable.» Son prochain ouvrage portera sur le «mythe du destin», et les mille et une manières de l’influencer. L’auteur confie qu’il pense avant tout à une histoire «dans laquelle on ne [l]’attendra pas».

Le Passeur, Franck Mancuso, Récamier Noir, 256 pp, 20,50 €