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Mercredi pages jeunes

«Le Pays de Rêve», ou la réalité de la misère selon David Diop

L’auteur de «Frère d’âme» imagine une orpheline poussée par la pauvreté à quitter son pays.
Le pays dans lequel vit l'héroïne du conte est «un enfer où toujours couvait le feu et coulait le sang». (Gulshan Khan/AFP)
publié le 6 mars 2024 à 17h11

Comme beaucoup de contes, celui de David Diop commence par «Il était une fois». Son héroïne, une très belle jeune fille prénommée Rêve, vit dans la crasse, un peu comme Cendrillon. Le rapprochement s’arrête là. Né à Paris, David Diop qui a grandi au Sénégal, ne cherche pas à embellir la réalité et à promouvoir le prince charmant. L’auteur de Frère d’âme (Seuil, 2018), prix Goncourt des lycéens et Booker Prize, mais aussi de la Porte du voyage sans retour (Seuil, 2021), dit déjà tout dans le sous-titre : «conte initiatique sur l’injustice du monde». Le pays de Rêve est bien loin du merveilleux, c’est «un enfer où toujours couvait le feu et coulait le sang. Un de ces pays sans trêve et sans repos où l’on récolte par brassées, au lieu de blé, de riz ou de maïs, des milliers de vies animales et humaines». S’il reste imaginaire, il n’est pas difficile de l’associer à des pays où la population végète dans une extrême pauvreté sous la menace des exactions de militaires.

Fuir l’enfer ?

Orpheline, Rêve vit seule avec sa grand-mère, ses parents ayant été «fauchés en pleins travaux des champs par des soldats désœuvrés», dans une ville de bric et de broc, au pied d’une montagne-décharge, non loin de l’océan. Depuis qu’elle l’a recueillie, la grand-mère cache sa petite fille sous des oripeaux répugnants et ne l’autorise à sortir que la nuit pour la protéger du mauvais œil, «celui des soldats désœuvrés». Elles survivent d’expédients, de détritus piochés dans les poubelles débordantes du «Palais du Grand désœuvré».

Mais la misère «broie toute générosité, jusqu’aux plus beaux élans du cœur», et la vieille femme qui aimait tendrement Rêve finit par se dessécher, et battre froid sa petite-fille. Construite en courts chapitres, avec de brefs paragraphes dans une langue poétique, la nouvelle parle du réel et laisse une porte à l’espérance. Faut-il fuir l’enfer et comment ? Le destin de Rêve, qui rêve bien sûr d’un ailleurs plus clément, se rapproche de celui de nombreux migrants. Le conte initiatique de David Diop est de ceux qui ouvrent une porte.

David Diop, le Pays de Rêve, Rageot, 64 pages, 5,10 €. A partir de 13 ans.