Rond, haut, sombre, il trône au centre de l’image. Il a des allures de bouée de sauvetage ou d’île refuge. C’est un piano. Il occupe tout l’espace d’un récit de libération et d’ouverture, de résilience et de sacrifices. Derrière le clavier, voici Dani. Elle a 17 ans quand démarre cette histoire. Elle est khmère, vient de quitter un Cambodge trop traditionnel et patriarcal et un père trop violent et alcoolique. Elle est en fuite. Elle a trafiqué la signature du paternel pour s’affranchir et aller suivre des cours de musique à Leipzig, en République démocratique allemande (RDA). Nous sommes en 1965, et le Cambodge de Norodom Sihanouk, plus ou moins non aligné, cultive une réelle proximité avec les pays frères, comme la Chine, la Corée du Nord ou la RDA.
Elle a obtenu une bourse d’étude au conservatoire de musique Felix-Mendelssohn. Ruth est son exigeante et prévenante professeure. Un jour, avec un tourne-disque et un vinyle de Claude Debussy, celle-ci s’invite à l’hôpital où se trouve Dani. Avec les notes du compositeur français, elle s’installe au chevet de son étudiante alitée, inconsciente, esseulée. Trop de stress, de travail, de froid, la jeune khmère s’est effondrée, évanouie quelques jours plus tôt.
«Drôle de destin»
Peu à peu, Dani émerge de pages sombres. Elle sort d’un cauchemar où rugissait un ogre-père prédateur campé en monstre. Les partitions de Debussy sont comme des lianes de délivrance dans des cases aériennes qui esquissent un envol. Avec ces premières pages inquiétantes, Tian n