Dans la famille, cette enfant-là est à part. Quand elle est née, la mère a frôlé la mort, et ses aînés la regardaient de travers. Heureusement le bébé refusa le sein d’une nourrice amenée en urgence. C’était le ticket d’entrée pour être acceptée par la fratrie : elle serait donc nourrie avec de la nourriture prémâchée en attendant le retour maternel. Est-ce à cause de ses rudes débuts dans la vie que la petite fille a des envies de fugue permanentes ? On est dans un village moldave du temps où le pays faisait partie de l’Union soviétique. Une seule route carrossable traverse la localité et quelques chemins butent sur elle. L’enfant, la narratrice de ce tendre premier roman, les explore un à un.
Son obsession, partir un jour découvrir «le vaste monde», revient comme un refrain à chaque fin de chapitre. Exemple : lorsque dans cette famille où les êtres sont d’abord des bouches à nourrir, la mère, un jour faste, tue une volaille de la cour. «Quand elle coupe la poule en morceaux, elle donne la tête à papa, comme il se doit — il est à la tête de la famille. Mes grandes sœurs mangent les ailes, afin de prendre leur envol et se marier au plus vite. Mon frère aîné a droit au blanc, pour avoir la force de monter les sacs de farine au grenier. Les autres dévorent le reste de viande et se moquent de moi, la bouche pleine, parce que moi, avec mes envies de partir, je ne devrais manger que les pattes.»
La ruralité de l’époque soviétique
Lorina Balteanu qui est née en Moldavie et vit aujourd’hui à Paris nous p