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Littérature

Le prix Goncourt 2023 attribué à Jean-Baptiste Andrea pour «Veiller sur elle»

Les jurés ont récompensé, ce mardi 7 novembre, l’auteur et cinéaste fidèle aux éditions de l’Iconoclaste. Son roman foisonnant raconte la vie, à rebours, de Michelangelo Vitaliani, sur fond de Guerres mondiales et d’Italie fascisante.
Jean-Baptiste Andrea à son arrivée au restaurant Drouant, ce mardi 7 novembre 2023. (Denis Allard/Libération)
publié le 7 novembre 2023 à 12h50

C’était le dénouement le plus prévisible du marathon du Goncourt. L’autre grande favorite, Neige Sinno, ayant remporté le Femina hier avec Triste Tigre (P.O.L), il y avait beaucoup à parier que Veiller sur elle de Jean-Baptiste Andrea l’emporterait, devant Sarah, Susanne et l’écrivain d’Eric Reinhardt (Gallimard) et Humus de Gaspard Koenig (Editions de l’observatoire). L’Académie, qui avait couronné l’an dernier, après d’âpres débats, l’autobiographique Vivre vite de Brigitte Giraud (Flammarion), a choisi cette fois-ci de décerner la palme à une œuvre de pure imagination et de foisonnant romanesque. Elle récompense du même élan une maison d’édition indépendante, l’Iconoclaste, créée en 1997 par Sophie de Sivry disparue en mai. Publié chez l’Iconoclaste depuis son premier roman, Ma Reine en 2017, Jean-Baptiste Andrea, 52 ans, également cinéaste, a déjà reçu fin août le prix du roman Fnac.

Retrouvailles secrètes

Veiller sur elle raconte la vie, à rebours, de Michelangelo Vitaliani dit «Mimo». A l’automne 1986, l’homme âgé de 82 ans agonise dans un monastère du Piémont où il a passé incognito ses quarante dernières années. De petite taille, Mimo est né en France – ce qui lui vaudra longtemps le surnom de «il Francese» de parents italiens. Après la mort de son père pendant la Grande Guerre, sa mère l’envoie au pays dans le petit atelier turinois du sculpteur Zio Alberto. Alcoolique, «enfoiré», le maître maltraite son apprenti, un génie précoce. Le tandem part s’installer en décembre 1917 à Pietra d’Alba, village dominé par le richissime clan Orsini et la culture des orangers. «Nous ne sommes pas du même milieu social, tu comprends. Nous ne pouvons pas être amis, point», dit à Mimo la jeune Viola, benjamine de cette famille de marquis, qui comptera un frère évêque influent et un autre, partisan de Mussolini.

L’amour ne connaît pas les classes. Entre l’aristocrate Viola et le modeste Mimo va se nouer une relation intense et platonique qui va durer des décennies, faites de retrouvailles secrètes dans le cimetière de Pietra d’Alba où elle écoute les morts. Elle lui glisse un premier ouvrage sur Fra Angelico tiré de la bibliothèque de son père, il lui sculptera un ours dans le marbre pour son anniversaire. Car une ourse se trouve aussi dans le tableau, et au village, on prétend que c’est Viola, un peu sorcière. Jean-Baptiste Andrea a un penchant pour les histoires d’amours d’enfance, passages les plus réussis de Veiller sur elle. La suite de l’idylle tressaute sur les cahots du destin. Intelligente, cultivée et fantasque, Viola rêve de voler, décolle dans une aile volante fabriquée avec l’aide de ses amis le jour de ses fiançailles pour échapper à l’union programmée. Mais l’indépendance d’une femme dans les années 20 se crashe sur les desiderata de sa famille, et Viola finit par convoler avec un avocat riche et vulgaire.

Sculpteur reconnu et virtuose

Ce n’est pas le seul fil que suit ce roman glouton, avec pour fond les deux guerres mondiales et une Italie fascisante. Après un passage dans le cirque Bizzaro presque téléphoné pour ce personnage de petite taille, Mimo va devenir un sculpteur reconnu et virtuose, avec des carnets de commandes bien garnis. Sa dernière œuvre, une Pietà taillée dans le marbre, est enlevée du Vatican pour être reléguée loin du regard des hommes en raison de sa troublante attraction. Elle se trouve non loin de lui, dans le monastère piémontais, où mourant, il fait défiler toute son existence.

Veiller sur elle de Jean-Baptiste Andrea. L’Iconoclaste, 580 pp., 22,50 € (ebook : 15,99 €).