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«Le Rêve d’un langage commun», un recueil au féminin pluriel d’Adrienne Rich

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Publication d’«un recueil amoureux» de la poète américaine et du «Sens de notre amour pour les femmes», dans lequel deux discours témoignent de son engagement dans les mouvements féministes et lesbiens.
Adrienne Rich dans les années 1970. (Bridgeman Images)
publié le 21 février 2025 à 16h11

En 1974, Adrienne Rich n’a plus 20 ans et c’est tant mieux. Elle en a 45 et une nouvelle vie devant elle. Pleine de désir et d’allant, poussée par le souffle d’une joie pure et même temps lucide, elle écrit «Vingt et un poèmes d’amour». Puisque cette édition bilingue le permet, écoutons-la dans sa langue, directe, intime, touchante : «I touch you knowing we weren’t born tomorrow, /and somehow, each of us will help the other live, /and somewhere, each of us must help the other die.» A droite, le même passage, dans la traduction de Shira Abramovich et Lénaïg Cariou : «Je te touche en sachant que nous ne sommes pas nées demain, /qu’en un sens, chacune de nous aidera l’autre à vivre, /que quelque part, chacune de nous doit aider l’autre à mourir.» A l’ambiguïté potentielle de l’anglais (moins enclin aux marqueurs identitaires) répond une naissance au féminin pluriel que le français affirme («nées»), et contre la possibilité d’un «chacun», un «chacune». Même en morcelant les strophes, il faut le savoir à chaque vers : «Vingt et un poèmes d’amour» parle d’amour entre femmes.

Vingt et une fois plus une, étant donné qu’un «poème flottant, non numéroté» se glisse entre le quatorzième et le quinzième fragment, et qu’il n’y aura après lui précisément plus aucun flottement possible. Dans le corps du texte, «tes cuisses voyageuses», «ma langue» et «la danse, vive, insatiable de tes mamelons». On aimerait le citer en entier, rendre ses ondul