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Entretien

«Le XVIIIe siècle revalorise le sentiment féminin et l’amour partagé»

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Le cahier Livres de Libédossier
Pour Elodie Ripoll, qui a codirigé «Tomber en amour. Enquête sur la naissance du sentiment au XVIIIe siècle», cette époque a été un tournant dans la représentation de l’état amoureux, même si certaines convenances demeurent.
La rencontre entre Manon et le chevalier des Grieux dans «Manon Lescaut», de l’abbé Prévost (lithographie de Maurice Leloir, vers 1900). (Bridgeman Images)
publié le 8 janvier 2025 à 16h27

La littérature, qui influence et reflète les mentalités, était traversée au XVIIe siècle en France par l’idée que l’amour était une passion destructrice, et la première rencontre annonciatrice de malheurs. Au siècle suivant, le sentiment amoureux devient progressivement porteur d’un sens de moins en moins négatif. L’amour s’impose comme la grande affaire de la vie et le topos littéraire de sa naissance se métamorphose. La dernière publication importante sur ce sujet était Leurs yeux se rencontrèrent. La scène de première vue dans le roman (José Corti) de Jean Rousset, qui datait de 1981 et couvrait une large période, allant jusqu’au XXe siècle. Depuis quarante ans aucune étude n’avait revisité ce thème à l’aune de l’histoire récente des émotions, du genre, et du corps. Voici le regard critique renouvelé dans un ouvrage collectif qui se concentre sur le seul XVIIIe siècle. Entretien avec Elodie Ripoll, maîtresse de conférences à l’université de Trèves et codirectrice du livre.

Pourquoi avoir choisi comme tournant le XVIIIe siècle?

C’est le moment où apparaissent deux expressions qui ont connu une longue fortune dans la langue française, «tomber amoureux» et «coup de foudre», qui associent la naissance de l’amour au ressenti du corps, ce qui est totalement nouveau. C’est à la fois une rupture avec la théorie cartésienne des passions, et avec la séparation entre l’âme et le corps, rupture permise notamment par l’empirisme et les travaux de John Locke,