En Albanie, dans les années 1980, tout n’est qu’une question de «biographie» : les surnoms dont on écope, le mariage entre personnes qui ne s’aiment pas, les études que l’on suit – on se forme de préférence à la discipline que l’on n’apprécie pas, car ce ne serait pas raisonnable d’être trop heureux ni trop brillant ; ce serait injuste pour les indécrottables malheureux. Et qu’appelle-t-on une «biographie» ? Le destin que le Parti dessine pour chaque Albanais avant que le pays ne s’ouvre et ne découvre une autre définition de la liberté. Enfin libre, le récit autobiographique au ton sarcastique de Lea Ypi, a pour sous-titre Grandir quand tout s’écroule. Peut-être est-ce le meilleur moment pour grandir, si l’on en croit la vivacité intellectuelle de l’autrice.
Un pays qui marchait sur la tête
Née en 1979 en Albanie, Lea Ypi a étudié la philosophie en Italie. Elle l’enseigne aujourd’hui à la London School of Economics en Angleterre. Cette situation ressemble à un beau pied de nez au communisme dans lequel elle a baigné, mais on verra qu’elle-même ne l’entend pas ainsi. Son récit est traduit de l’anglais, non de l’albanais. Enfant, Ypi était déjà analyste politique, à sa façon. Les premières pages d’Enfin libre dressent un tableau de l’Albanie à hauteur d’enfant, mais d’enfant très intelligente, à l’image de celles qu’inventait Roald Dahl. La jeune Lea Ypi comprenait tout ce qui était compréhensible dans un pays qui marchait sur la tête : «Dans les années 1960, lorsque Khro