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«08h14. y a-t-il quelqu’un pour me gâcher l’existence /pour me la briocher tendrement avec de la confiture /une double couche de confiture à tremper dans mon pot de lait /je veux la mie moelleuse» Léo Dekowski, né en 1996, signe avec son premier livre de poésie un objet obsessionnel, vingt-quatre heures de la vie d’un homme à la recherche du moelleux, depuis son réveil à 7h23 jusqu’au lendemain matin à 5h47. Pour ne rien gâcher, l’ouvrage sort chez les bien nommées Editions Sans Crispation. A chaque horaire consigné correspond un poème de quelques lignes, parfois d’un seul mot. On y mange un «veau mijoté» à 13h04, de la «glace qui fond» à 16h36, y croise une baignoire remplie «avec cent dix mille millilitres de jus d’abricots /pressés à la main» à 19h10, une moquette, évidement à 21h09, du «baume-lèvres» à 21h14 ou encore un «doudou» à 23h27… Bref le narrateur-héros de cette journée à la fois banale et étrange se meut dans un monde cotonneux, «fluffy», où tout semble contaminé par la mollesse, jusqu’à l’écriture qui coule doucement, sans ponctuation ni lettres capitales.
Si tous les textes du livre se laissent glisser aussi facilement, c’est aussi parce qu’ils semblent s’enchaîner dans un jeu de rapprochement sonore sur fond d’assonance de «m» et de «ou». Ainsi «mon hibou nouvellement dressé feint de faire la moue», tandis que l’auteur, aux aguets du «moindre moelleux mouvement», observe que «monte au métro saint-michel un homme d’âge moyen» dont les «harmonies amènes mélodisent des standards du jazz», jusqu’à une visite, bien entendu, au musée Maillol. La figure s’appelle une paronomase et nous ne nous serions jamais souvenus de ce mot savant sans la (brillante) préface de Stéphane Bouquet, qui note : «Le mot rythme vient lui-même du mot grec qui voulait dire couler, flux sans reflux.»
A travers le jeu langagier, Léo Dekowski cherche ici à inventorier une tranche subjective de vingt-quatre heures du monde, à «épuiser le moi dans le moelleux» – et on peut comprendre ce verbe comme un écho à la Tentative d’épuisement d’un lieu parisien de Perec. Mais il s’agit peut-être aussi de les ramollir, ce moi et ce monde forcément plus hostile qu’une couette molletonnée, surtout en ce début d’automne froid et pluvieux : «j’ai mis le moelleux à toutes les sauces j’ai confiance /en ses capacités métamorphiques»