Regard ténébreux accentué par le maquillage, lèvres pulpeuses, visage encadré par une courte chevelure noire bouclée, posé sur le revers d’une main, comme offert à autrui, naissance suggestive d’une épaule échappée d’une précieuse étole de fourrure… Telle est Zarah Leander, la plus grande star du cinéma de l’ère nazie. Son physique de séductrice étonne tant il évoque les vamps hollywoodiennes ; rien en elle de la prétendue pureté aryenne ni de l’épouse parfaite et de la bonne mère, vouée aux trois K (Kinder, Küche, Kirche, enfants, cuisine, église) imposés par le national-socialisme. Et pourtant, idole des foules et icône des gays, elle est aussi adulée par Hitler ! Grâce à la passionnante étude d’Isabelle Mity, on découvre la cinéphilie du Führer, son «goût prononcé pour les films hollywoodiens» et son admiration pour Clark Gable, le Rhett Butler d’Autant en emporte le vent, qu’il a vu trois fois. Comme lui, le cinéma allemand jongle alors avec les paradoxes.
Dès l’accession au pouvoir de Hitler, le régime veut rivaliser avec les productions américaines, mais il se trouve aussitôt confronté à une hémorragie des talents, accentuée par sa politique d’aryanisation, portée par la grande société de production UFA : les uns s’exilent pour ne pas cautionner le nazisme, ou ne pas être instrumentalisés ; les autres pour échapper à la répression contre l’homosexualité ou à la menace antisémite qui plane sur eux ou leurs conjoints dont il conviendrait de divorcer.