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Jeudi polar

«Les Feux du Talion», la vengeance est un plat qui se déguste froid

Guerre d'Algérie (1954-1962), un conflit historiquedossier
Lauréat du prix Historia pour «In fine mundi» en 2022, Andrès Serrano nous plonge avec son nouveau roman dans le bouillonnement des années 70, entre guerre d’Algérie et mutations de la société française.
Le point de départ du roman est un double assassinat suivi de l'incendie d'une maison au sud d'Oran, en Algérie, en 1962. (Vladimir Zapletin/iStockphoto. Getty Images)
par Didier Arnaud
publié le 6 juillet 2023 à 10h20

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Andrès Serrano a commencé à écrire tardivement. Et il a bien fait de s’y mettre. D’autant qu’il choisit des sujets rarement courus. L’intrigue de son nouveau roman se déroule en 1962. Des commandos de la Légion font une expédition punitive dans la maison d’un bon docteur, près de Saint-Lucien, commune de la wilaya de Mascara, en Algérie, assassinant un couple en pleins ébats avant de mettre le feu à la maison.

«Alignés au milieu de la cour, les quatre tueurs assistaient fascinés au spectacle des volutes vermeille et tournoyantes qui s’élevaient vers le ciel. Des milliers de brandons incandescents emportés par le vent allaient mourir dans la nuit. Le spectacle était terrible et beau à la fois.

Ecoutez, écoutez ! Ce sont des cris, lança soudain l’un d’eux. Il y a encore quelqu’un à l’intérieur.

Des appels de plus en plus forts et bientôt des hurlements affreux jaillissaient des flammes.

Mais ils sont plusieurs. Ce sont des enfants qui brûlent là-dedans, gueula un autre tueur. On avait dit pas les enfants. Ce n’est pas ce qui était prévu […]

Alors, une ombre émergea de l’ancienne bergerie. C’était un homme. Il marcha lentement jusqu’au milieu de la cour en terre battue. Anéanti, il regardait la fournaise et il pleurait. Tenant sa tête entre ses mains, il tomba sur ses genoux et demeura ainsi, blotti dans sa douleur immense».

Andrès Serrano est né à Oran en 1948, dans une famille espagnole. Il a été musicien professionnel puis, à 38 ans, professeur d’histoire. Ecrivain est un peu son troisième métier, qu’il exerce avec un certain brio, puisque son premier roman, In fine mundi, paru en 2022 (ed. Nouveau Monde), a reçu le prix Historia du polar historique. Avec les Feux du Talion, il s’attaque au dicton biblique «œil pour œil…» Et le moins qu’on puisse écrire, c’est qu’il n’y va pas avec le dos de la cuillère.

De La Rochelle à la Lune

La vengeance de l’homme du début est donc l’objet du livre, sorte de quête intense et impossible, en vue d’apaiser celui qui a vu sa peine exploser devant la «fournaise». On ira à La Rochelle dans les années 70, on croisera des Peugeot 404 grises, «Tintin», un type du Service d’action civique, symbole de «la collusion entre la police et ses barbouzes, le milieu du grand banditisme et le monde politique». On se replongera avec un certain délice dans cette époque de «ce qu’on appelait désormais “la civilisation des loisirs” […] avec ce symbole nouveau de la liberté conquise, la voiture. Toutes les conditions de fortune, tous les milieux culturels s’étaient soumis à la tyrannie mécanique du siècle, pour le meilleur et souvent pour le pire». On côtoiera l’inspecteur principal Abel Helme, un gars plutôt sympathique vu l’enquête compliquée qui s’annonce pour lui. On verra aussi un flic ripou, qui collabore avec le milieu marseillais. On goûtera au chenin, «cépage des côteaux-du-loir, nectar qui provient d’un terroir très réduit, entre Château-du-Loir et Vendôme». On parlera de la destruction des Halles à Paris, des changements politiques dans l’Egypte de Nasser et en Chine, de la conquête de la Lune, des problèmes de stationnement dans la capitale et de la naissance des «pervenches» destinées à y remédier. On aimerait retourner plus souvent en Algérie avec Andrès Serrano. Et on attend impatiemment la suite.

Les Feux du Talion d’Andrès Serrano, éditions Nouveau Monde, 368pp, 20,90 euros