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Jeudi polar

«Les Ombres de la vallée» de Viveca Sten, crime hors-piste

Déroulant avec talent son intrigue, l’autrice suédoise nous emmène dans un lieu glacial où des vies ordinaires sont chamboulées par la découverte d’un cadavre mutilé, une affaire bientôt mêlée à celle d’une obscure disparition.

Dans le roman, le cadavre d’un «enfant du pays aimé de tous» est découvert un jour, le long d’une route, le visage mutilé, les mains ligotées dans le dos. (Isabella Sthl/Getty Images/fStop)
ParFabrice Drouzy
Rédacteur en chef adjoint - Suppléments et spéciaux
Publié le 07/12/2023 à 9h00

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C’est d’abord une ambiance… Celle d’un petit coin de Suède en hiver, la vallée du Snasadalen, un lieu fictif au pied du massif des Snasahögarna (montagnes bien réelles), à quelques kilomètres de la frontière norvégienne. Le froid, la neige, les longues journées sans soleil, le thermomètre qui ne cesse de chuter ; et les policiers du petit commissariat de la ville d’Are, plus habitués à gérer les sorties alcoolisées des fêtards de cette station de ski branchée que les assassinats sauvages.

C’est pourtant le cadavre d’un jeune homme sans histoire, ancien champion de ski reconverti en plombier après une mauvaise chute sur les pistes, qui est découvert un jour le long d’une route, le visage mutilé, les mains ligotées dans le dos. Une exécution. Brutale, barbare. Pourquoi liquider un type ordinaire, un «enfant du pays aimé de tous» ? Quel peut bien être le mobile, s’interrogent Hanna et son collègue Daniel (1), en charge d’une enquête qu’ils ne savent par quel bout prendre. Une histoire d’argent ? Une forme de vengeance ? «On peut supposer que le meurtrier faisait partie de ses connaissances et que c’était un homme. Les femmes sont tuées par des hommes ; et les hommes sont tués par d’autres hommes.»

Rigorisme sectaire

Que s’est-il passé, durant les heures ayant précédé le meurtre ? Alors que l’autrice déroule avec talent son intrigue, le lecteur rentre dans l’intimité des personnages principaux. Hanna, policière cabossée et célibataire ; Daniel, son collègue attentif, jeune père tiraillé entre sa conscience professionnelle et sa famille (une femme et un bébé), qu’il est obligé de négliger pour suivre l’enquête ; Anton, inspecteur homosexuel, qui n’a pas eu le courage de faire son coming out, et a le malheur d’être tombé amoureux d’un garçon qui se trouve être un proche de la victime.

La plume est tenue par une femme, et c’est un des points forts de cette histoire où se croisent des vies ordinaires faites des petits soucis du quotidien, des rapports compliqués mère/fille, des réflexions sur la place qu’un métier absorbant peut prendre dans un couple… On s’arrête pour faire les courses, manger une pizza à la va-vite, s’effondrer sur son lit après deux jours sans sommeil, ou encore s’interroger sur cette étrange grippe dont parlent les journaux. Heureusement, c’est loin, la Chine…

En marge de l’intrigue principale (apparaissant tous les trois ou quatre paragraphes), est également contée la vie de Rebecka. Son histoire démarre en 2012. Elle a alors à peine dix-neuf ans, vit non loin d’Are dans une communauté évangélique, la «Lumière de vie», dont le rigorisme sectaire rappelle celui des Mormons ou des Amish. Ici, les femmes obéissent aux hommes tout-puissants. Et n’ont que deux fonctions : procréer et tenir leur maison. Aussi, lorsque sa famille lui annonce qu’elle va se marier avec le pasteur assistant, de près de vingt ans son aîné, elle ne peut que prier le seigneur pour qu’il bénisse cette union. Las, le couple ne réussit pas à avoir des enfants, et l’époux colérique va rapidement dévoiler son véritable visage.

Lorsque les deux histoires se rejoignent, Rebecka vient de disparaître… Les deux affaires seraient-elles liées ? La jeune femme est-elle encore en vie ? La course contre la montre pour sauver Rebecka démarre.

(1) Héros du précédent thriller de Viveca Sten, Une écharpe dans la neige (2022).

Les Ombres de la vallée de Viveca Sten, traduit du suédois par Amanda Postel et Anna Postel, Albin Michel, 494 pp., 21,90 euros.