Menu
Libération
Histoire

Les Trente Glorieuses à hue et à dia

Article réservé aux abonnés
L’historien Herrick Chapman montre que la reconstruction volontariste de la France après guerre suscita des tensions entre la technocratie et les aspirations démocratiques.
Des mineurs de charbon français en 1946. (-/AFP)
publié le 4 novembre 2021 à 3h21

Vues de l’orée du XXIe siècle, les Trente Glorieuses ressemblent à un pays de cocagne, où couleraient le lait (le plein-emploi) et le miel (la fulgurante progression du niveau de vie). Loin d’être un miracle, cette prodigieuse réussite a pourtant résulté d’une politique volontariste. Dès 1945, la France entama en effet une reconstruction placée sous le signe du progrès. Mais à rebours d’une image d’Epinal, sa modernisation suivit un cours heurté. Loin d’associer dans une collaboration fraternelle le monde du travail et du capital sous la houlette d’un Etat bienveillant, les tensions qui opposaient les ambitions de la technocratie aux exigences de la démocratie provoquèrent heurts et conflits. Telle est la thèse stimulante que défend, dans un livre roboratif, Herrick Chapman, un historien américain.

La politique migratoire fut loin, par exemple, de fixer un consensus. Confrontée à un manque de bras, la France souhaitait accueillir une main-d’œuvre étrangère. Souvent passés par Vichy, les hauts fonctionnaires défendaient des positions tranchées : ils devraient être recrutés en Europe et privés des droits des salariés français. L’opposition des syndicats, hostiles à une mesure qui risquait de tirer les salaires vers le bas, et du personnel politique, révulsé par cette approche xénophobe, les fit reculer. De même, la politique familiale, originellement défendue par la droite, rallia jusqu’aux communistes. Mais ce large soutien se paya d’un infléchissement. Alors que les milieux l