L’art moderne, dont on situe la naissance avec l’impressionnisme et les avant-gardes qui s’ensuivirent, se caractérise comme un mode de pensée et de création novateur, en réaction aux règles de l’Académie des Beaux-Arts. Ce fut aussi un projet démocratique : l’art devint alors une expérience à la portée de tous et non plus réservée à une élite éduquée. Or, remarque Jacques Rancière dans les Voyages de l’art, «ce moment où l’art a été identifié comme une sphère d’expérience autonome et installé dans les musées et les salles de concert est aussi celui où s’est imposée à lui la nécessité de sortir de lui-même, de devenir autre chose que de l’art». Ce «paradoxe constitutif de l’art moderne» est au cœur de ce recueil de six conférences et textes publiés dans des revues.
Une intrigue d’Hegel et Kant
Le philosophe décrit son livre comme un «drame en trois actes, chacun divisé en deux tableaux». L’intrigue est posée par Hegel et Kant, dans une relecture réjouissante des deux pères fondateurs de l’esthétique. Du premier, il relit l’Esthétique en montrant comment l’art est pour Hegel un voyage singulier qui le pousse «au-dehors et au-delà de lui-même», vers un ailleurs où les frontières entre l’acte de créer et la vie se brouillent. Du second, il montre comment il se démène avec le même type de problème : l’art est tout aussi insaisissable pour Kant, car il a affaire avec la vie même et avec une absence de finalité propre : «Le propre du génie est de ne pas savoir ce qu