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Mercredi pages jeunes

«L’Eté des charognes», un été en composition

Sylvain Bordesoules adapte Simon Johannin dans une bande dessinée qui fait ressortir la violence du milieu rural subie par deux adolescents.

En adaptant le roman de Simon Johannin, Sylvain Bordesoules voulait «montrer le beau dans la brutalité et le quotidien». (Photo/Gallimard 2023)
Publié le 24/05/2023 à 13h25

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Chez eux, l’été a une odeur de bière et de sang – celui des bêtes tuées et des mômes frappés par leur père alcoolique. Mais aussi celle des grillades qui cuisent sur le barbecue car la cuisine est infestée de mouches. La raison ? Une quarantaine de brebis mortes sont entreposées sous l’appentis, en plein soleil. «Comme on était au milieu de l’été, les jours suivants, les bêtes elles ont commencé à gonfler puis à exploser les unes après les autres.» Les pères affirment : interdit d’y aller, hein. Les enfants, eux, retiennent leur respiration transformant les charognes en terrain de jeux. C’était la volonté de Sylvain Bordesoules : «Je voulais montrer le beau dans la brutalité et le quotidien», dit-il à Libération. Il trouve même une certaine tendresse dans la maladresse de ces patriarches ivres que leurs enfants raccompagnent en conduisant. C’est dans ce village solidaire où on veille sur les vieux et on donne un coup de main aux champs que grandissent le narrateur et son pote, Jonas. L’été a une drôle d’odeur mais pour eux, c’est «quand même un bel été.»

«Chercher une fin à ce silence»

Quelques années plus tard, le narrateur – dont on ne sait pas le prénom – se taille les veines. Il le fait avec en tête l’image d’un bouledogue la gueule grande ouverte qu’il espérait «défoncer» et enfin faire taire. «Je pensais ouvrir mon corps comme on ouvre un abcès pour que le chien sorte.» Plus loin : «Je tirais mes heures derrière moi sans autre but que de subir le soleil et de chercher une fin à ce silence qui avait tout englouti, les bruits aussi étaient tous morts de soif… dans ce désert humain de briques et de tuiles où la présence étouffe.» Ici, la violence ne s’expie pas facilement ; elle se nourrit dans l’enfance et les traumatismes – comme ce chien tué à coups de pierres dès l’ouverture du livre.

Les illustrations suivent : le trait forcé, exagérément coloré parfois, s’efface quand le protagoniste s’automutile. Sylvain Bordesoules fabrique des formes qu’il tire vers l’abstraction. Les couleurs sont, elles, atténuées. Le sang devient un trait de marron par-ci, un de noir par-là et de rouge, un peu. Il était question dans cette violence de se trouver : qu’il s’agisse des premières gueules de bois, du départ en internat, des danses sur des chansons de BB Brunes, de la prise d’herbe ou de LSD, tout ceci participe à l’éducation des deux héros. «On s’apprenait la vie comme on apprend l’anglais, en faisant des maladresses, ça nous faisait briller les dents de rire.» Et les visages, les voilà décomposés par les feutres alcool permettant au dessinateur de travailler épaisseurs et transparence. Il s’attelle à sortir ces adolescents paumés de ce brouillage identitaire. Si ce n’est pas déjà trop tard car l’été ne dure qu’un temps, bien qu’il s’étale sur dix ans dans cette première bande dessinée adaptée du roman de Simon Johannin.

Sylvain Bordesoules, l’Eté des charognes, Gallimard «Bande dessinée», 280 pp., 29 €. D’après le roman de Simon Johannin, l’Eté des charognes, Allia, 144 pp., 10 € (ebook : 6,50 €). A partir de 15 ans.