«Tant de choses peuvent arriver en trente ans. La mort, surtout, arrive. Elle ne cesse d’arriver. La mort de milliers et de milliers de femmes. Leurs dépouilles qui rôdent, ici. Dans mon dos. Dans les plis des mains, quand elles se serrent. Aux commissures des lèvres. Derrière les genoux, quand on les plie. Elles passent là, à côté, à mes côtés, elles ne cessent de passer. […] Je soupire, vaincue. Qui a le droit de décider de ce que signifie beaucoup de temps, peu de temps ?» Trente ans. C’est le temps qu’il aura fallu à Cristina Rivera Garza pour écrire sur le féminicide de sa sœur, Liliana, 20 ans, assassinée à Mexico le 16 juillet 1990 par son ex-petit-ami, Angel Gonzalez Ramos, jamais condamné.
L’Invincible Eté de Liliana s’ouvre comme une enquête menant l’autrice dans les dédales du système judiciaire mexicain et des rues familières – ou inconnues – du quartier d’Azcapotzalco, à la recherche du dossier de sa sœur. Ces allées et venues dessinent un espace dont l’étrangeté traduit l’impossible unification des pistes de l’investigation. C’est qu’auparavant, et particulièrement au Mexique où sont commis dix féminicides par jour, on ne disposait pas du langage pour (dés)articuler les mécanismes de la domination masculine et la violence du genre. Ce roman est un pas en ce sens pour que les féminicides cessent de s’appeler «crimes passionnels. S’appel[er] mauvaises fréquentations. S’appel[er] pourquoi elle s’habille comme ça ? […] car le manque de langag