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Fières de lettres

Louise Drevet, la Walter Scott du Dauphiné

Chronique «Fières de lettres»dossier
Chaque mois, la Bibliothèque nationale de France met en lumière une œuvre d’écrivaine méconnue, à télécharger gratuitement dans Gallica. Aujourd’hui, Louise Drevet, chroniqueuse et prosatrice qui écuma la région de Grenoble pour en recueillir les contes et légendes pour les retranscrire sous forme de récits littéraires.
Louise Drevet dans «l'Illustration dauphinoise», par J. Jouve. (BNF Gallica)
par Eric Dussert, Bibliothèque nationale de France
publié le 18 octobre 2024 à 13h43

C’est en collectant des histoires et des contes locaux que Louise Drevet se fait une place en littérature. A l’instar des grands folkloristes que furent François-Marie Luzel (1821-1895) qui laboura la Bretagne à la recherche de récits et de chansons, ou, plus récemment, Arnold Van Gennep (1873-1957) – sans oublier son disciple Claude Seignolle (1917-2018), elle arpente les différents arrondissements du Dauphiné pour en extraire le suc d’une littérature orale qu’elle anoblit en la publiant, embellie.

Née Marie-Louise Chaffanel à Grenoble le 18 décembre 1835, elle manifeste très tôt une attirance pour les livres, et, en particulier pour la chronique locale, particulièrement riche en ce pays où les montagnes sont aussi majestueuses que les existences peuvent être âpres. Mariée à 22 ans à Xavier Drevet, libraire installé à Grenoble et localement très bien implanté, elle entreprend d’écrire ses propres livres sous son nom de femme mariée, Louise Drevet. Essentiellement des nouvelles historiques, où se mêlent folklore, histoire, paysages et géographique, «le tout en l’honneur de leur cher Dauphiné».

Le tout premier de ces ouvrages, la Vallée de Chamonix et le Mont-Blanc répond parfaitement à la demande de son temps : l’alpinisme qui cesse d’être une activité de purs aventuriers, attire un public élargi et qui ne va cesser de croître dans les décennies qui suivent «Qui de nos jours n’a fait ou projeté un voyage en Suisse ? Et, dans ce voyage, objet de ses rêves, qui de nous n’a placé au nombre des excursions à accomplir, l’ascension de l’un des sommets du Mont-Blanc !»

A lire dans Gallica :

C’est trois ans plus tard que paraît son livre devenu classique, les Nouvelles et légendes dauphinoises qui se déclinent en de multiples éditions, fascicules, feuilletons… D’abord édité par deux éditeurs, le couple de Louise et Xavier investit rapidement le champ éditorial et ils fondent leur propre marque d’édition, Xavier Drevet. Ils lancent également dès 1864 le bi-hebdomadaire le Dauphiné, dont Louise est une rédactrice en chef durant trente-cinq ans – le titre ne disparaîtra qu’en 1956, après la disparition du fils du couple, prénommé lui aussi Xavier.

Récits de voyage régionaux

Non seulement elle remplit son rôle à merveille mais elle trouve encore le temps de se travestir sous le pseudonyme de Léo Ferry, plaisant chroniqueur touche-à-tout dont on apprécie les récits de voyage régionaux fort humoristiques ou la critique d’art… En particulier le malicieux En diligence de Briançon à Grenoble où, prenant le pas des nombreux successeurs de Tristram Shandy, l’archétype du récit de voyage, elle mène sur le mode qu’utilisait aussi Edmond About pour animer les joyeux palikares de son Roi des montagnes une course contre les brigands qui sifflent au passage de la diligence… «Un coup de sifflet aigu, strident, avait traversé nos oreilles ; les enfants se regardaient avec inquiétude ; un second coup de sifflet changea cette inquiétude en terreur, car des cris dont ne pouvions démêler la nature succédaient aux coups de sifflet.» On comprend pourquoi elle eut tôt le surnom de Walter Scott du Dauphiné.

Le drame enfle… «Les chevaux s’étaient arrêtés d’eux-mêmes, le conducteur et le postillon étaient descendus de leur siège. Le désarroi régnait tant dans le coupé que dans l’intérieur. “Ah la coquine, dit enfin une voix, celle du conducteur, qui était, comme aujourd’hui, Félix F., je la tiens… voilà si longtemps que je la guette. C’était elle qui faisait sentinelle pendant que les autres travaillaient.” Les jeunes filles étaient pâles, la mère faisait bonne contenance ; les petits garçons, croyant qu’on avait mis la main sur la bande des Quarante voleurs d’Ali-Baba avaient autant de curiosité que de peur. “Voilà, me dit Félix, voilà la siffleuse. […] Une marmotte qui fait le guet dans la prairie…”»

L’œuvre prolifique de Louise Drevet lui vaut d’entrer en tant que membre honoraire dans la Société des Gens de lettres. L’impressionnante liste de ses publications qui paraît en quatrième de couverture de son glossaire de l’argot dauphinois, Expressions patoises du Dauphiné, glanées par Louise Drevet (1929).

Près de soixante-dix publications sous forme de romans, nouvelles et légendes, tels que Dauphiné bon cœur, Iserette, En Matheysine, les Légendes de Paladru, le Porte-Balle de l’Oisans, Une aventure de Mandrin, la Chanteuse de Valence, le Saut du Moine ou bien encore le conte merveilleux intitulé Le Prince-Dauphin et la Belle Vienne. Dans le conte grenoblois intitulé Un geste de Charlemagne c’est avec un regard à la fois poétique, féministe et un peu écologique qu’elle relate l’histoire de la reine Furca et du roi Grimsel qui, ne parvenant pas à avoir d’enfants croisent une étonnante vieille femme qui leur octroie trois fils pour le moins étranges… Ailleurs, c’est la topographie de l’Oisans qui se dessine de conte en conte. Ici l’on reconnaît Villard-Reymond ; là Huez, et plus loin Livet-et-Gavet, commune désormais célèbre pour sa futuriste maison du directeur de l’usine des Vernes (1918), le pavillon Keller construit sur pilotis en 1930 («La ville morte des Alpes»)

«Une vie tout entière vouée à notre région»

Louise Drevet s’éteint le 23 juillet 1898 à son domicile de la rue Lafayette, à Grenoble, à 62 ans. Le lendemain, le maire de Grenoble, Stéphane Gay, déclare : «Tous nos citoyens que le passé et l’avenir du Dauphiné ne laissent pas indifférents réserveront quelques pensées à celle qui fut pour notre province un ouvrier de la première heure, et dont la vie tout entière fut vouée à notre région et à notre cité… La ville de Grenoble recueille le fruit des efforts de la femme vaillante qui a été appelée la Walter Scott du Dauphiné.»

Un hommage redoublé par le poète Emile Trolliet (1856-1903), le fondateur de la Revue idéaliste, qui lance : «Vous qui êtes dauphinois, lisez les récits de Louise Drevet vous aimerez davantage votre pays. Et vous qui n’êtes pas du Dauphiné, lisez mieux encore, car ainsi vous apprendrez à le comprendre, à le goûter et le chérir.» Jusqu’à déguster ces trajets en diligence qui, comme la vie, pourraient nous faire écho à Louise Drevet lorsqu’elle s’exclame : «Mais c’est un voyage à refaire, me dis-je, puisque celui-ci s’est passé en conversation».