Il restait donc au moins une ligne à ajouter à sa bibliographie. Hélène Bessette, connue aujourd’hui pour ses romans poétiques – et quasi inconnue de son vivant – avait composé, en secret puisqu’elle arrêta de publier dès 1973, un vaste chant mélancolique. Le manuscrit d’Elégie pour une jeune fille en noir dormait dans les archives conservées à l’Institut mémoires de l’édition contemporaine (Imec), à Caen.
La chose permet par ailleurs d’ajouter aussi une ligne à sa biographie : car Hélène Bessette y dévoile comment elle est tombée sous le charme, dans sa jeunesse, d’une autre jeune femme. Passion amoureuse homosexuelle, donc, et interrompue par la mort de l’aimée, qui s’est jetée dans la Seine à l’âge de 18 ans.
Ce texte, «Hélène Bessette y travailla les dernières années de sa vie», précise Yoann Thommerel dans sa préface. Cette Elégie est donc le poème d’une femme vieillissante, longue déploration de la jeunesse perdue qui se superpose au souvenir de l’amante disparue. Les phrases sont simples, découpées sur la page en strophes courtes, adressées à la «jeune fille». Et quand l’autrice paraphrase Victor Hugo, c’est pour se mettre dans la peau de Booz au soir de sa vie et qui se souvient de son épouse morte : «Et nous sommes encor tout mêlés l’un à l’autre, /Elle à demi vivante et moi mort à demi.» Bessette : «Avec ces robes, notre brodeuse /notre couturière /toi, tu es morte /et moi, morte à demi.» Au lecteur qui se demanderait pourquoi elle a attendu si longtemps avant de revenir sur cette passion, Bessette avance cette confession troublante de simplicité : «Vers l’âge de quatre-vingts ans /Je songeais enfin à l’amour /le manque de temps /Jusque-là m’en avait empêchée.»
Voici un extrait du livre.
Maintenant que tout le monde est mort et en cendres
Que je suis seule enfermée dans ma chambre
emplie d’invisible sourd-muet
moi seule parlante agissante
face au mur indifférent et sans voix
alors je me souviens de toi.
Engourdie par le malheur
somnolente dans le jour bas
je suis ébaubie
de me voir si vieille en ce miroir
mon visage morcelé
léthargique
a cessé ses mimiques
affolées
et je reste coi
devant la longueur des heures
égrenées une à une, au long des dizaines d’années
à t’attendre
comme à la gare on consulte
sa montre jaune
avec impatience
Pour le Train-qui-n’arrive-pas.
Je suis interdite
de me voir si vieille en ce miroir
L’angoisse m’étreint et m’agite
Je perds la raison
le cauchemar appelé vie
me tient en prison
et s’inscrit
en images désordonnées
dans la glace
onyx
et jaspe
Et toi, de ton ciel, tu m’invites.
Haletante, hirsute
j’hésite
encore à te suivre.