Il serait un peu mensonger de ranger encore Stephen Romer dans la catégorie des écrivains britanniques. L’homme figure pourtant dans l’Anthologie de la poésie anglaise de la Bibliothèque de la Pléiade, où il est d’ailleurs le plus jeune des auteurs compilés. Anglais, il l’est, obviously, lui qui est né dans le Hertfordshire en 1957. Mais Stephen Romer, ou au moins sa poésie, est éminemment continental, comme son nouveau recueil français (après Tribut en 2007) permet de s’en rendre compte. Installé en France dès le début des années 80, c’est du côté de Bonnefoy et de Jaccottet que sa parenté se dessine. Et s’il cite Coleridge parmi les palimpsestes assumés de son travail, c’est pour aussitôt ajouter Kierkegaard, Nerval et Laforgue. Quant à la langue française, elle constitue la matrice de son «parlando érotique», avoue-t-il – en utilisant un mot italien.
Les poèmes réunis ici sont liés à l’idée de «refuge», explique-t-il en préface. Un repli souverain face aux souvenirs, aux sentiments amoureux qui finissent dans la douleur, au bruit du monde ou à son accélération. Refuge de sa maison au bord de la Loire, refuge de la peinture et de la couleur, refuge de l’attention aux phénomènes de la nature, fleuve qui coule ou simplement une colombe à collier qui «se tient sur le bord /du vieux bassin de pierre».
Voilà l’un des poèmes du livre, en anglais puis dans sa traduction.
Ravello
Luminous details !
Not my unsightliness
twice corrected — you loving-stern,
when sick of the formless tee-shirt
by the Trevi, and the broken hat,
you marched me to the camiceria…
Absurd Inglese of the long neck,
head-at-a-tilt to piano nobile
to see the city whole in harmony.
We spiralled to Ravello
and there was nothing to do —
we stood helpless, in beachwear,
among the soprintendenza in Armani
when you slipped away,
and returned to me light
of step in the piazza
clothed in the petals of the iris,
and the orchestra played out to sea ;
Pogorelich, former #rebrand
gone plump and bald, played
a comfortable Rach 2 — what matter ?
With you beside me
all the blues of all the Masters
came down and blended
and I did not see.
Ravello
Lumineux détails !
Non pas mon inélégance
deux fois corrigée par toi, mon sévère amour,
lorsque, ne supportant plus ni le T-shirt informe
au bord de la Trevi, ni le chapeau défoncé
tu m’as emmené à la camiceria…
Inglese absurde, tordant son long cou,
la tête tendue à angle droit vers l’étage noble
pour admirer la ville harmonieusement déployée.
Nous avons serpenté jusqu’à Ravello
et il n’y avait rien à faire —
nous étions là, les bras ballants, en vêtements de plage
parmi ceux de la soprintendenza en Armani
lorsque tu as disparu
avant de revenir vers moi,
à pas légers, vêtue de pétales d’iris,
sur la piazza,
et l’orchestre, posé sur les eaux, accompagnait
un Pogorelich chauve et replet,
lui jadis si ardent,
exécutant un deuxième de Rach. – ?
Toi à mes côtés
tous les bleus de tous les Maîtres
sont venus se mêler
et je ne voyais plus.
Stephen Romer, le Fauteuil jaune, traduction de l’anglais par Gilles Ortlieb et Antoine Jaccottet, éditions le Bruit du Temps, 180 pages, 22 euros.
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