«Les Français parlent français /Ils ont leur langue à eux /Du nom de leur pays /Alors que nous les Belges /On ne parle pas belge /On parle la langue du pays d’à côté», écrit la poétesse Julie Remacle dans une litanie qui dit l’amour-haine de ce voisin envahissant, présent jusque dans ses mots. Ça veut dire quoi, être un poète belge, quand on pense et qu’on rêve dans la langue d’à côté ? Est-ce qu’il faut posséder une langue pour se l’approprier ? S’il existe une réponse, et qu’on devait la trouver, il faudra sûrement ouvrir Une poésie de vingt ans (1), anthologie de la poésie en Belgique francophone entre 2020 et 2022 établie par Gérald Purnelle, pour recouper, chercher les similitudes et les différences, trouver les interstices où la langue fourche et s’éloigne de son tuteur. Gérald Purnelle dit en tout cas, dans la préface du livre, qu’après le temps de la recherche de l’assimilation, celui où les poètes ont préféré se faire Français, est venu celui de l’affirmation. «L’écrivain belge doit plus que jamais assumer sa «belgitude», ou du moins se positionner à cet égard, dans un pays divisé en communautés linguistiques et en régions.»
Son anthologie «arpente» une poésie contemporaine post-an 2000 et traverse les formes, les âges (le plus vieux poète présenté aurait 100 ans s’il était encore en vie, le plus jeune en a 25) et les genres. Parfait pour picorer et faire des découvertes, comme le ton bougon de la formidable Julie Remacle, les presque haïkus maritimes d’Anne-Marielle Wilwerth, la passion «sans pitié ni entrailles» de Colette Nys-Mazure, la simplicité désarmante de Célestin de Meeûs, la beauté directe de Françoise Lison-Leroy («arrête de venir d’une autre planète /de traverser ma page interdite /de cerner /mes lueurs mes empreintes»), entre nombreux autres. Est-on de la poésie comme on est d’un pays ? «J’étais un étranger, répond la plume de Francis Dannemark, mort l’an dernier. Je parlais la langue de quelques poèmes.»
L’extrait
Vertèbre de Célestin de Meeûs
Voilà des jours que je n’ai pas
de toit ni déposé ma main
sur le rebord d’aucune fenêtre
de temps à autre c’est vrai tu peuples
l’intérieur de mes cinq sens
je n’ai aucun désir et c’est d’ailleurs
très bien je ne compte plus
toute la distance qui nous sépare
seulement il y a ces choses
qui bougent lorsque le vent
mime la torture et cette envie
de croire que ce n’est pas si con
de ne penser à l’autre qu’au regard
d’une vertèbre sur un dos nu