«C’est atroce que tu ne fasses plus exister de son/ chante pour moi je chanterai pour toi/ respire et geins allez/ tu voulais qu’on/ pense quoi après/ ta mort tu as dit/ réfléchissez-y.» Il faut lire les poèmes de CAConrad, qui viennent d’être traduits aux éditions P.O.L, comme le produit d’une thérapie. A l’origine du trauma : le meurtre homophobe de son compagnon Earth (à l’état civil Mark Holmes), «torturé, violé et brûlé vivant», en 1998 dans le Tennessee. «La violence supplémentaire de la dissimulation par la police a ébranlé ma confiance dans ce monde et m’a démoli pendant des années», prévient le poète américain dans En attendant de mourir à son tour (While standing in line for death, en langue anglaise), paru il y a cinq ans outre-Atlantique. Pour guérir et vaincre la dépression, rien de tel que la poésie.
Cela passe par des exercices que l’auteur, né à Topeka (Kansas) en 1966 et reconnu comme l’une des figures de la poésie queer contemporaine par ses pairs (Eileen Myles, Maggie Nelson, entre autres), nomme «rituels». Exemple : en 2013, CAConrad est invité par la MacDowell Colony, une résidence d’artistes dans le New Hampshire. Là-bas, au pied du Monadnock, il médite tous les jours avec sur son front un cristal de quartz que lui a donné son compagnon avant sa mort. De ces séances, ponctuées de prises de notes mais aussi de rêves et autres bizarreries (comme le fait d’avaler tous les jours un autre petit cristal), surgit la prose «réparatrice». Soit la matière de vingt-sept poèmes intitulés «Expertises de la volière» : «Cher fantôme aux flammes /vacillantes qui ne blessent plus /poumons dégonflés se dilatant /TU DIS Ils ne peuvent brûler /un pédé qu’une fois.»
Cette poésie «somatique» (à partir de routines qui impliquent le corps du poète) participe aussi à la guérison du monde qui l’entoure. Entendez : la planète et ses habitants non humains que CAConrad veut défaire des souffrances qui leur sont infligées. Une œuvre écoactiviste, qui joue de formes bizarres et d’une langue sexuelle (c’est aussi en ça qu’elle est queer), dont on attend avec impatience le reste de la traduction.
L’extrait
ma poésie
vient du démon m’a
informé mon cousin
et je l’ai informé qu’Odin
est le seul dieu autorisé
à me baiser sans capote
pas même Jésus tu comprends
chutes d’eau pour reconstituer la rivière en bas
rompu à toutes les stratégies d’armageddon
je suis un démon de la poésie
tombant dans la
Niagara un
rouleau dans
une bouteille
une lettre d’amour pour
des amitiés au Canada
que tous les gardes-
frontières soient virés en
l’honneur
de meilleures
carrières.