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Bien sûr qu’il serait caricatural de présenter la poésie comme un pays où règnent apaisement et délicatesse, refuge souverain dans ce monde de brutes. Mais il serait tout autant caricatural de la définir comme exactement l’inverse, forcément hyperconnectée, frénétique, au diapason de la violence qui nous entoure. La poésie, appelons-la sensible, intime, existe, et elle peut très bien n’être pas du tout fleur bleue, et même tout à fait réussie. C’est le cas pour cette Saison fragile d’Estelle Fenzy, dont Libé avait déjà relevé le recueil coécrit avec Samantha Barendson.
Dans Une saison fragile, son troisième recueil publié à la Part commune, Estelle Fenzy réunit des poèmes très courts, notations qui pourraient relever de la catégorie du haïku, au moins par le ton : «On les attend /Ils tardent on baisse la garde /Ils nous prennent par surprise /les passages vrais du temps». Quelques lignes plus loin : «Dans l’instant /rien ne me dit tant de vivre /que ce café noir au bord du jour».
Le recueil propose quatre moments, différents par le thème abordé (le deuil, un jeu sur les possibles, l’enfance, le retour dans la ville de Brest) mais proches par l’économie des moyens déployés : mots simples, vers courts. Comme si le dispositif même du poème souhaitait ne pas s’imposer, laisser la place à ce qu’il pourrait susciter chez le lecteur – à qui l’autrice s’adresse directement : «Fais /comme s’il y avait /un voyage // Imagine /il te mène /à toi-même // à bord /d’un vaisseau /qui porterait /ton nom». Certes ils sont «fragiles», ces quelques instants volés au travail, aux nouvelles angoissantes, à une vie trépidante – et on les imagine bien composés le matin, alors que la maison dort encore – mais ils sont ici comme solidifiés par le fait de devenir matière de l’écriture. Alors le poème rend compte aussi de cette concrétion :
«Seule
dans la cuisine
j’écoute
la fumée de ma tasse
devenir poème»