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Née en 1990 à Omsk en Sibérie, la poète Galina Rymbu vit aujourd’hui en Ukraine, avec son mari et son fils. Un retour vers son histoire familiale. Sa mère était issue d’une famille ukrainienne déportée pendant le régime stalinien. Son grand-père d’origine moldave et roumaine a combattu sur le front ukrainien pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais son départ en 2018 du pays dirigé par Poutine ne l’a pas détachée du russe. Il a complexifié, enrichi son rapport à la langue. Dans une préface très éclairante, la traductrice et autrice Marina Skalova raconte sa découverte de la poésie de Galina Rymbu et les écarts de la transposition en français.
«Dans traces, écrit-elle, poème témoignant du quotidien de la guerre et de la déchirure de la langue produite par elle, on lit : “L’horreur montrera comment ne pas se servir de lalangue”». Suit une explication pointue à l’issue de laquelle la traductrice explique avoir «décidé de faire coexister [le terme] “lalangue” inspiré de Lacan souhaité par Galina Rymbu avec “l’alangue” né de [sa] première appréhension du texte». Il ne faudrait cependant pas voir cette démonstration comme un écueil. Pas plus que ce qui la précède : «Galina Rymbu décrit son travail poétique comme une phénoménologie de la perception du politique.» On est là effectivement dans un travail littéraire en plein dans le monde d’aujourd’hui. La poète relaie des aspirations féministes, LGBT et la lutte contre les inégalités. «Rendant visible une expérience et une conscience d’opprimée, elle récuse l’idée selon laquelle une langue s’adressant aux classes populaires devrait être un langage pauvre, une langue soi-disant accessible», écrit encore Marina Skalova.
Ce premier recueil en français est monté à rebours de la chronologie. Il commence par traces, écrit en 2022. Poème de douleur, de révolte, il dit le quotidien de la guerre, il raconte des bribes de vie dans les abris, ses interrogations sur l’écriture : «maintenant, / chaque nuit, quand je m’endors dans la cave, j’imagine et j’imagine à mes côtés / la poésie de gens ayant de mauvaises dents / (au moments où ils n’ont / pas honte de sourire), / avec de petits trous dans les t-shirts et les pantalons, / une poésie “de valeur douteuse”, / de la honte et de la crispation, / éprise de repas chauds et d’utopie […]». Galina Rymbu épingle le concret de l’existence avec une justesse déchirante. Dans des poèmes plus anciens, elle tient cette même note, comme on le dirait d’une chanteuse lyrique, pour parler de la misère, la débine dans la Russie post-soviétique de sa jeunesse. Le corps féminin est aussi très présent dans cette poésie combattante. Comme l’illustre le long poème, Mon vagin, écrit en 2019, en réaction au procès intenté par la justice russe à l’artiste Ioulia Tsvetkova, née en 1993, inculpée pour avoir diffusé des dessins éducatifs sur le corps des femmes.
Galina Rymbu, Tu es l’avenir, traduit par Marina Skalova, Editions Vanloo, 172pp., 18€.
L’extrait
Eté. Portails du corps.
1.
pourquoi a-t-elle posté les entrailles d’un chien mort sur instagram ?
sous un arbre, mélangées à la terre. c’est déjà la fin ou pas encore ?
des afflux de terre liquide grondent dans mon ventre toute la journée.
la raison se tait.
le corps s’écroule.
cette nuit, le lit sous moi a pris feu.
2.
on dit qu’après avoir mis un enfant au monde, il faut rester un peu seule
et l’attendre à nouveau.
et puis, attendre qu’il se mette à parler,
alors qu’il s’est déjà mis à parler.
mon fils.
une fois la nuit, je te regardais dormir
et l’amour a jailli du plafond
comme un liquide amniotique trouble.
le monde qui nous attend –
dur comme pierre, solitaire,
tel un atelier abandonné dans une zone industrielle
avec des bardanes géantes qui prolifèrent à l’intérieur,
des colonies de vers aveugles, des rayons de soleil noir.
je t’ai tellement attendu, petit garçon,
pour après attendre encore et encore.
m’effrayant parfois à l’idée que quand tu étais en moi,
je t’aimais à distance.
3.
la langue cogne contre ses frontières.
épisode dépressif, troisième jour.
sur la table, menthe morte et aneth froid.
baies sans saveur.
la langue ne franchira pas ces frontières.
là-bas c’est du sérieux. là-bas, à l’intérieur des frontières
des types armés de kalachs font des rondes jour et nuit.
angoisse.
le monde est comme l’eau bouillante
que tu dois boire par petites gorgées
quand tu es malade.
qui aime ça ?
cuisine sale. graisse dedans et dehors.
même les reflets du soleil qui s’étirent jusqu’ici
à travers les feuilles de vigne derrière la vitre,
parlent de dysphorie.
torpeur abrutie, j’ai le hoquet.