«Elle et elle seule entendit le cri que poussa la tigresse tandis que la charrette passait le portail du palais ; un long cri sourd, semblable au bruit du vent dans un tuyau. Sa note pleine de tristesse trancha la nuit – une fois, deux fois – avant de mourir sous le bruit des sabots.» Dans le palais familial, une petite fille se glisse hors de son lit en pleine nuit. On est en 1552 à Florence et Lucrèce se distingue déjà de sa fratrie par son indépendance. L’enfant à l’ouïe fine se demande ce que ce feulement signifie. Habituée à écouter tout ce qui se trame dans le monde adulte en plaquant son oreille sur les murs, à parcourir le palais par ses passages secrets, elle va se débrouiller pour le savoir. Et la voilà donc, à tourner sans fin dans un escalier obscur jusqu’à la fenêtre d’où elle pourra voir enfin ce qui se passe dans une cour illuminée par la flamme des torches. Un fauve est là dans une cage tirée par des mules affolées. Il faudra attendre un peu pour que l’enfant puisse revoir la tigresse dont la vision habitera désormais ses rêveries.
Avec ce nouveau roman, Maggie O’Farrell fait le portrait d’une femme qui a existé, fille de l’illustre famille toscane des Médicis, et s’empare avec la fiction de ce destin tôt tranché. Lucrèce est morte à 16 ans, un an après son mariage avec le puissant duc de Ferrare. Le début du livre la présente dans une forteresse où son mari l’a conduite. Elle en a la certitude : cet homme à la personnalité double, auquel elle a été mar