La scène se passe en Suisse. Une dame vient voir Judith Butler à la fin de sa conférence, pour l’informer qu’elle prie pour iel (nous emploierons le pronom neutre, puisque le genre déclaré de Butler est désormais non-binaire). Butler lui demande pourquoi, et la Suissesse lui explique que ses ouvrages contredisent les Ecritures. Butler lui demande si elle a lu son livre, sur quoi la dame s’indigne : «Jamais je ne lirais un livre comme celui-là !»
Qui a peur du genre ? est né précisément de la certitude qu’il ne sera pas lu (mais quand même brûlé). Imaginez cette scène répétée des dizaines de fois et vous aurez une idée de l’étrangeté de cette vie de philosophe. Qui d’autre incarne une idée si traumatisante qu’on n’a même pas besoin de la connaître pour la haïr ? Son nom se confond avec la «théorie du genre», cela suffit. Les deux sont d’ailleurs de purs noms, puisqu’on n’a pas besoin de savoir ce qu’ils signifient pour savoir quoi en penser – mieux, il faut ne pas savoir, car on risquerait d’être contaminé.
Penser le refus de penser ensemble
Si tous les essais sont des autobiographies cachées, celui-ci est l’autobiographie d’un nom propre devenu énigmatique à la personne qui le porte. Il aurait pu s’intituler : qu