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Libération
Le Libé des écrivains

Making ouf, remettre en ordre le monde

Le Libé des écrivain·esdossier
Deux rédacs chefs et 34 écrivaines et écrivains ont passé la journée à réaliser le Libé du jour. Heure par heure, impressions à chaud et dans le désordre.
Dany Laferrière, Hervé Le Tellier, Thomas Gunzig et Colombe Boncenne, lors du comité de rédaction pour le Libé des écrivains, le 11 avril. (Cha Gonzalez/Libération)
par Alexandre Labruffe, écrivain et photo Cha Gonzalez
publié le 11 avril 2024 à 21h29

9 h 22 : Tramway T9. Place de la logistique. Rungis. Villejuif. Je me ronge les ongles. Pour me calmer, je consulte l’étymologie du mot «coulisse». Un café au Coche. Et j’y suis.

9h30 : Le comité de rédac se passe au sous-sol. 36 écrivaines dont la moitié Québécois. 2 rédacteurs en chef invités qui en plus de «ranger le chaos» veulent «remettre en ordre le monde» : Dany Laferrière et Hervé Le Tellier. La réunion commence, pilotée par un «vrai» rédac en chef. Tour de table. Trahison : certain.e.s ont déjà planché, fini leur article. Le «vrai faux» rédac : «A moins d’une attaque nucléaire, le cahier Québec tient !»

9 h 33 : Ma voisine, Colombe : «Y’a comme un bruit de quelqu’un qui ronfle, non ?»

9 h 50 : Il faut faire le tri. Autopsier l’actualité. Attaque à Bordeaux. Suicide à Reims. Pass colo. Randonneuse retrouvée morte en Italie. Un Japonais astronaute. Pacte immigration. Prix du carburant. Pénurie d’eau à Bogotá. Boîte de Tramadol. #Metoo médecine. Belinda rebondit sur le miel.

9 h 59 : «Le steak végétal, on l’a pas fait hier ?»

10 h 01 Le vrai rédac : «Surtout ne vous inquiétez pas !»

10 h 00 : Ivan Jablonka arrive en retard. Erwan : «Un problème de camping-car ?»

11 heures : Je crois entendre : «Chaos chez les écolos.»

11 h 01 : Reuters : «Attaque mer air commando.» Au secours Gaza. Des rumeurs sur l’Iran.

11 h 20 : Un écrivain a pris la défaite du PSG. La chance !

11 h 21 : La une hésite entre : le droit des nuages + la crise de l’eau ; ou Gaza ?

11 h 45 : Qui prend le miel ?

11 h 46 : L’environnement est évoqué : parler des polluants éternels ? Je marmonne : la littérature est-elle un polluant éternel ? Une journaliste parle du coût caché du plastique.

11 h 55 : «OK, partons sur l’eau.» Mais alors qui prend l’eau ?

11 h 52 : Un journaliste n’articule pas quand il aborde l’affaire de la radio NRJ. Il est puni : il doit répéter NRJ dix fois. Lentement. En articulant.

11 h 53 (Lien de cause à effet ?) : Le service Idées nous dit : «Indignez-vous !» Le service culture : «La censure devrait intéresser nos amis écrivains, non ?»

11 h 55 : Il y a donc des sujets froids, tièdes, chauds. Quelqu’un hurle : «On est dominé par l’actu !»

11 h 50 : Les lumières s’éteignent et s’allument. Un phénomène paranormal ? Un fantôme hante-t-il le sous-sol ?

11 h 51 : Le vrai rédac en chef dit : «C’est un biais du métier de journaliste : se focaliser sur les mauvaises nouvelles. On est en pleine fatigue informationnelle.» Dany Laferrière commente : «La noirceur s’enténébrera.»

10 h 48 : L’écoanxiété. Enfin.

11h55 : «On connaît bien Jack Kerouac mais on connaît moins bien mon arrière-grand-mère.»

10 h 55 : Eric Chacour a disparu ! (Kidnappé par une IA ?) (Le sujet de son article ?)

11 h 56 : «Moi mon rêve c’est le Libé des écrivaines !» Réponse : «On va trouver une solution !»

12 h 00 : La une «eau» est adoptée.

11 h 11 : On parle d’IA. Mon ordi plante. Il faut aussi parler du déclin de la lecture. Quid de la fiabilité des ordis ? La question horoscope est soulevée. Maxi 300 signes (astrologiques ?)

11 h 10 : Les lumières s’éteignent et se rallument toujours.

12 h 00 : «Partons sur l’eau !», «Est-ce que cette phrase fait sens ?», «Quitte à monter à Paris, autant partir sur l’eau».

12 h 30 : Sur l’eau, on manque de bras. Sur Gaza, on manque de bras. Sur 36 écrivain.e.s, il n’en reste plus que 12. On est dans une téléréalité à élimination directe ?

12 h 31 : J’ai besoin d’un Doliprane. Problème : personne ne peut s’enfuir (on n’a pas de badge). On est dans un Escape Game ?

12 h 45 : Remise en cause : «Pas d’angle fort sur l’eau», «l’eau c’est un enthousiasme qui s’évapore».

13 h 00 : Trop d’angles ou pas assez d’angles ?

14 h 00 : Le service International : «Il ne faut pas écarter la possibilité d’une escalade.»

12 h 17 : «Le Making ouf, ça va ?», «Non !»

13h19 : «Je veux écrire un conte», «euh, sous quel angle ?», «l’angle de l’eau.», «s’il fait un conte, il faut le re-conte-xtualiser !»

14 h 05 : Faut qu’on parle horaires.

16h06 : Je demande un Doliprane. On me donne un générique.

15 h 12 : «L’O est la voyelle moins utilisée de la langue française.» Pour l’éditeau, le défi est donc oulipien : écrire sans O. Quelqu’un plaisante : «C’est assécher la langue française !»

13 h 13 : Pour l’horoscope : amour, travail ou santé, il faut choisir. On peut pas tout faire. Moi (cri du cœur) : «On enlève l’amour alors !» Refus sec de la rédac. La santé trinque !

16 h 45 : Les écrivains sont éparpillés. J’en retrouve au service International, au service Culture, au service Photo, au sous-sol, sur le canapé, sous une table, dans une cabine insonorisée, chez l’avocat, chez le psy.

17 h 10 : «Où sont les croissants ?»

18 h 34 : On passe les photos de la une en revue. Quelqu’un dit : «C’est bien la goutte !» Un autre : «On peut éviter d’être efficace.» On opte pour l’inefficacité. A l’unanimité.

18 h 47 : Claire : «On est à l’eau mais où est le vin ? !»

19 h 59 : On boucle le making ouf.

Ils ont fait le journal

Hervé Le Tellier (Le Nom sur le mur, Gallimard, à paraître le 18 avril); Dany Laferrière (Autobiographie américaine, Bouquins); Vincent Almendros (Sous la menace, Minuit); Sophie Avon (Le Goût du bonheur, Mercure de France); Mathieu Belezi (Moi, le glorieux, Le Tripode); Eduardo Berti (Un fils étranger, Un hijo extranjero, La Contre-Allée); Colombe Boncenne (De mes nouvelles, Zoé); Belinda Cannone (Les Vulnérables, Stock); Eric Chacour (Ce que je sais de toi, Philippe Rey); Phoebe Hadjimarkos Clarke (Aliène, Sous-Sol); Cécile Coulon (La Langue des choses cachées, L’Iconoclaste); Chloé Delaume (Pauvre folle, Seuil); Martine Delvaux (Ça aurait pu être un film, Héliotrope); Erwan Desplanques (La Part sauvage, L’Olivier); Alain Farah (Mille Secrets Mille Dangers, Le Quartanier); Claire Fercak (Une existence sans précédent, Verticales); Gabrielle Filteau-Chiba (La Forêt barbelée, Castor Astral); Dan Franck (L’Arrestation, Grasset); Paolo Giordano (Tasmania, traduit de l’italien par Nathalie Bauer, Le Bruit du monde); Mahir Guven (Rien de personnel, Lattès); Thomas Gunzig (Rocky, dernier rivage, Au diable Vauvert); Denis Infante (Rousse ou Les beaux habitants de l’Univers, Tristram); Ivan Jablonka (Le Troisième continent ou La littérature du réel, Seuil); Michel Jean (Qimmik, Libre Expression); Etienne Kern (Les Envolés, Gallimard); Alexandre Labruffe (Cold case, Verticales); Annie Lafleur (Puberté, Le Quartanier); Victor Malzac (Créatine, Scribes); Andrée A. Michaud (Proies, Rivages); Sylvain Pattieu (Une vie qui se cabre, Flammarion) ; Muriel Pic (Petit atlas des pleurs, avec Anne Weber, Extrême contemporain); Neige Sinno (Triste tigre, P.O.L); Larry Tremblay (D’enfers et d’enfants, La Peuplade); Mathieu Simonet (La Fin des nuages, Julliard); Tiffany Tavernier (En vérité, Alice, Sabine Wespieser); Audrée Wilhelmy (Blanc Résine, Grasset).