Peut-on écrire un bon roman en racontant ce qui flotte dans la tête d’une femme idiote, méchante, égocentrique et, pour couronner le tout, mythomane ? Evidemment. Il suffit de trouver la forme qui fera de son état une aventure, intérieure, sociale, pour la rendre, sinon épique, du moins animée d’une emphase et d’un mauvais esprit assez contradictoires pour stimuler, sans qu’on sache toujours si l’on doit rire ou pleurer. L’écrivain espagnol Manuel Vilas, auteur populaire d’Ordesa et des Baisers, y parvient dans Irene. Il reprend la forme qui fait sa marque : un récit ni tout à fait en prose, ni tout à fait en vers, taillé avec rudesse en courts paragraphes, parfois d’une seule phrase, et en dialogues sanglés ; toutes choses donnant une pulsion, une scansion, propre à enfoncer des clous dans la tête – ou à les retirer, puisqu’un clou chasse l’autre. Quels clous ?
Irene Marquez est une jolie femme d’une quarantaine d’années dont le mari est mort d’un cancer, c’est du moins ce qu’elle se (et nous) raconte. Il s’appelait Marcelo, dit Marce. Moitié espagnol, moitié italien, il était le fils d’un menuisier ébéniste qui avait fui le franquisme et devint décorateur de Fellini : «La clé de sa réussite tenait peut-êtr