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«j’éprouve les rochers
les arbres
les objets»
Dans un précédent livre de Marc Graciano (Johanne, un chef-d’œuvre), la première phrase s’étirait sur pas moins de 73 pages. Le nouveau, Noirlac, est un recueil de haïkus où chaque poème est long de quelques mots, se déployant sur trois lignes, parfois seulement deux. Johanne proposait un vocabulaire pseudo-médiéval fascinant d’étrangeté, les notations de Noirlac emploient des mots d’une extrême simplicité.
«à pas prudent
il chasse les petits poissons
le héron»
Pourtant, nous n’avons pas affaire, entre les deux livres, d’un quelconque contre-pied radical. Dans Noirlac, on retrouve de Graciano son goût de la précision et la large part qu’il laisse au surgissement de la vie, autonome et chargée de mystère, de la nature. Au fil de ces courts poèmes, il se peint en Thoreau dans son Walden, contemplatif même quand il a abusé sur le bourgueil («ivre /je m’adresse aux étoiles»), attentif aux chants des oiseaux, et amateur de pêche à la ligne.
«bientôt je ne serai plus
qu’un vieux
qui pêche au bord du Cher»
En poésie, la pratique du haïku est peut-être l’une des plus périlleuse, à cause de son apparente simplicité. Sans respecter les règles canoniques du poème japonais, Graciano en saisit néanmoins l’esprit : un regard capté par un détail qui parle de la saison, c’est-à-dire du temps à l’œuvre dans la nature. De là à conclure à une poésie empreinte de spiritualité, zen ou autre, il y a un pas que l’auteur nous autorise lui-même à franchir.
«d’autre fois je sens
près de moi
une présence»
Ses haïkus forment en tout cas un tout particulièrement apaisant, chronique souvent drôle, toujours délicate, de ce qui survient dans la vie contemplative de Graciano. Car le livre invite à prendre à notre tour ce rythme de Noirlac, le village du Cher où il habite et qui donne son nom au recueil : un rythme lent et répétitif, certes, mais fertile.
«ce n’est qu’un amas de
brindilles
le nid des ramiers»